Année 1856 |
6 septembre 1856
Alfred de Falloux à Charles de Montalembert
Bourg d’Iré, le 6 septembre 1856
Cher ami,
J’ai beaucoup moins d’objection contre une réponse à la Revue de Paris que contre une réponse adressée à l’Univers, et pouvant entraîner une série de polémiques. Je ne puis donc que vous remercier très vivement d’avoir bien voulu prendre mon avis, adopter le vôtre en principe et vous soumettre seulement les détails suivants :
1) je supprimerais à la fin de la seconde page le membre de phrase qui contient : vingt subalternes, et victime. Si on essaye de détourner le mot la batterie, sur les évêques qui se sont bien réellement relayés à l’aide de l’Univers le mot choquera : si on l’applique aux journaux de province, c’est en donner à l’Univers beaucoup plus qu’il n’en a. Je ne vous tiens pas davantage pour sa victime et le mot lui ferait trop de plaisir à enregistrer. Je terminerais donc ma phrase, sur : passé maître dans l’art de l’invective, à quoi je préférerais encore : l’art de la stratégie, on dit toujours beaucoup trop à Veuillot, selon moi, qu’il est violent, jamais assez combien il est habile manœuvrier.
2° à la troisième page au lieu de : transporter les questions politiques sur un terrain … j’aimerais mieux : transporter les questions, même les questions religieuses, sur un terrain politique, où il peut seul … C’est en effet aujourd’hui la tactique qui lui réussit le mieux, et qui me semble importante à démasquer.
3° je tâcherais d’introduire un témoignage de la vivacité avec laquelle la revue démocratique s’efforce de protéger et de grandir Veuillot. L’Univers a audacieusement nié cette sympathie, il importe donc de remettre ces faits en lumière et d’ajouter ce poids à la massue dont vous lui assénez un si rude coup. La phrase qui me semble la plus aisée à emprunter à l’article de M. Ulbach serait celle soulignée par vous au début de la page 188 : - Un pareil adversaire assure la victoire. À la suite de la phrase qui se termine à la quatrième page par : avant, pendant et après cet inconvénient, ne pourriez-vous pas faire un dernier alinéa, disant à peu après :
Je conçois vos préférence en faveur de l’Univers puisque vous n’hésitez pas à prononcer au nom des opinions démocratiques, qu’un pareil adversaire assure la victoire. Cependant je vous prie d’insérer cette lettre…
Je n’ai pas besoin de vous dire, cher ami, combien j’insiste peu sur l’adoption de mon texte. Voici en tout cas, la pensée sous l’inspiration de laquelle je vous le soumets : c’est de compléter votre lettre au point de vue de l’offensive comme à celui de la défensive et de faire que partout où elle sera répétée, après avoir parue dans la revue elle fasse bien comprendre aux évêques, comme aux laïcs que nous ne reculons pas d’une semelle et nous maintenons, l’arme au bras, sur le terrain conquis à la baïonnette. Je voudrais vous remercier aussi de m’avoir si généreusement associé à vous, mais je garde cela pour le Bourg d’Iré, où je compte les minutes d’ici à votre arrivée.
Votre coupé sera retenu à la diligence du mercredi cinq heures du matin mais sous mon nom et non sous le vôtre. Je garde jusqu’au dernier moment le secret de votre arrivée, afin d’éviter l’envahissement des curieux, puisque vous devez voir l’évêque d’Orléans1 il est impossible que vous ne lui proposiez pas de s’adjoindre à nous au Bourg d’Iré, mais je vous laisse bien maître de votre degré d’insistance. Faites-vous bien renseigner de l’état des affaires de Cousin2. Tâchez de le voir lui aussi si vous en avez le temps et en tout cas obtenez de l’évêque de s’en occuper bien sérieusement. A jeudi, à jeudi, très cher ami.
M. Lenormant ne vient pas et m’en exprime des regrets infinis.
A. de F.
2Victor Cousin est alors menacé d’excommunication pour certains de ses écrits. Sur les conseils de Falloux et des collaborateurs du Correspondant, il écrivit une lettre fort déférente à Pie IX qui lui évitera cette condamnation.
