CECI n'est pas EXECUTE 27 juillet 1857

Année 1857 |

27 juillet 1857

Alfred de Falloux à Charles de Montalembert

Bourg d’Iré, 27 juillet 18571

Cher ami, quoi que je sois très effrayé de votre voyage à Sorèze2, quoi que je vous supplie de ne pas compromettre ce résultat des eaux, qui vous reposait tant, je veux cependant vous demander de ne pas voir le Père Lacordaire (si vous le voyez!) sans lui prononcer mon nom avec l’accent du plus fidèle et de la plus tendre nération. Je ne lui écris plus, parce que Dieu me l’interdit, mais je ne voudrais pas que mon souvenir s’effaçât complètement dans son cœur et c’est à vous que je fais appel pour m’y conserver ou pour m’y défendre !

Je viens de lire la lettre de Lanjuinais précédé d’un préambule qui probablement vous dispense d’y répliquer, je n’en veux pas moins rétablir les faits qui me concernent pour votre usage particulier, et pour ces archives qui me causent toujours autant d’admiration !

Je ne suis pas tombé malade un mois avant le conseil, comme le dit Lanjuinais. Je suis parti pour Neris3 et ce voyage a été cause du premier intérim. Je suis revenu le 10 septembre, et j’ai repris mon portefeuille n’étant ni mieux portant, ni plus malade que je ne l’avais été durant tout le cours du ministère. C’est trois jours après le retour, et bien comme vous l’avez dit, au moment où les conciles allaient s’ouvrir, que j’ai été pris par la fièvre nerveuse et que commence le second intérim de Lanjuinais qui va se terminer plus que par ma retraite définitive et le congé du ministère tout entier (fin d’octobre) au plus violent de ma fièvre Lanjuinais vint pour me parler <mot illisible> veillait près de mon lit, comme un dragon et interdisait toute espèce d’entretien. Lorsque Lanjuinais eut fait connaître à ma femme l’objet de sa visite, elle crut ne pas pouvoir prendre sur elle de me le cacher absolument et vint me dire en peu de mots qu’il s’agissait de l’autorisation des conciles. Je me pressais de retourner en toute hâte près de mon collègue et de me dire dans les termes les plus expresses que je m’opposerai jusqu’à mon dernier souffle à cette mesure. Elle n’en parut pas moins dans le Moniteur le lendemain ou le surlendemain.

Je ne crois nullement, cher ami, opportun de prolonger ou d’approfondir cette polémique, mais j’ai cru utile de bien préciser les faits pour vous et pour le cas où d’autres circonstances pourraient vous <mot illisible> sur le même sujet.

Maintenant, si on demandait pourquoi je n’avais pas pris la précaution de faire approuver d’avance la pensée de mes amis de la majorité et la mienne sur ce sujet, voici ma réponse : je savais trop bien que la question posée comme question serait résolue négativement par la presque totalité du ministère et j’étais également convaincu que le fait une fois accompli, ils ne briseraient pas leurs liens avec moi pour cette affaire. J’avais donc constamment dit à Mgr l’archevêque4 : faites en tout ceci tout ce que vous jugerez convenable sans consulter ni interroger le gouvernement. S’il entrait une difficulté je la prendrai pour moi je la soutiendrais dans le conseil et je me retirerais plutôt que de céder ou de transiger sur ce point. C’est ce que j’aurais fait dans le conseil sans une maladie coïncidant avec l’événement et c’est ce que j’ai fait du fond de mon lit autant que cela a pu dépendre de moi.

La lettre même de Lanjuinais aujourd’hui prouve bien que si en effet la thèse libérale avait pu être franchement soutenue, elle eut triomphé sans aucune crise. Mais l’expédient étant proposé sans contradicteur présent fut naturellement préféré.

Je veux vous remercier une fois de plus, cher ami, de vous mieux porter en songeant à l’académie. Ménagez vos forces pour elle comme pour ceux qui vous aiment.

Alfred

1Lettre sur incident du ministère de 1849.

2Depuis le 27 juin 1854, le P. Lacordaire s'est vu confier la direction du collège de l’abbaye de Sorèze, dans le Tarn.

3Néris-les Bains, station Thermale de l’Allier où Falloux effectuera également plusieurs séjours pour soigner ses névralgies.

4Mgr Morlot, François-Nicolas-Madeleine (1795-1862), prélat. Ordonné prêtre en 1820, vicaire général en 1830 et chanoine du chapitre de la cathédrale de Dijon en 1833, il fut nommé évêque d'Orléans en 1839 puis archevêque de Tours en 1842. Il sera créé cardinal-prêtre en 1853 avec le titre de Saint-Nérée et Achille, puis, après l'assassinat de Mgr Sibour, le 3 janvier 1857, il deviendra archevêque de Paris.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «27 juillet 1857», correspondance-falloux [En ligne], Année 1852-1870, Second Empire, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1857,mis à jour le : 22/03/2021