Année 1857 |
14 août 1857
Alfred de Falloux à Charles de Montalembert
Bourg d’Iré, 14 août 1857
Cher ami, quoi que votre écriture me cause toujours une grande joie, je veux commencer par vous la reprocher surtout lorsque vous avez Fontaine1 sous la main. L’amitié à laquelle vous avez si fort raison de croire est trop profonde et trop vraie pour être égoïste, et puisqu’il ne m’est accordé de vous soigner, qu’en vous épargnant une fatigue ne me refaisait pas cette consolation. Bientôt je m’adresserai à Mme de Montalembert2 pour connaître les premiers effets d’Evian et soyez sûrs que ses bons résultats seront rapides si la chapelle du Bourg d’Iré a la puissance d’y contribuer.
Ce que vous me mandez de Mme Swetchine me navre. Je ne comptais pas reconduire mon frère3 jusqu’à Paris, je le ferai certainement pour elle. Je ne puis supporter de sang-froid la pensée de la menace que Dieu tient suspendue sur nos têtes.
L’évêque de Nantes4 vient de passer trois jours ici, il nous apportait des impressions de Rome toutes récentes et plus favorables. Il s’est avec beaucoup de cœur, d’habileté, et il me semble de succès occupé de M. Cousin. Ce serait donc le cas pour celui-ci de donner toute satisfaction non plus au nonce, mais au cardinal Morlot5. N’aurez-vous pas Cousin sous la main à Évian ? Combien je le souhaite pour lui !
Veuillez faire mes honneurs à nos confrères et les excuses de mon absence si vous le jugez nécessaire. La fille de M. Villemain6 n’arrive dans mon voisinage que la semaine prochaine. J’irai lui faire une visite avec empressement et essayer d’obtenir son père au Bourg d’Iré. Travaillez y de votre côté aussi, si vous pouvez.
J’aurais bientôt achevé mon article sur la sœur Rosalie7. Vous l’aurez certainement pour le mois d’octobre s’il vous convient de l’insérer dans ce moment-là. Pourriez-vous avant de quitter Paris m’envoyer copie du document que vous nous avez lu ce printemps chez Albert de Broglie, contenant les modifications au concordat et articles organiques réclamés par vous après le 2 décembre ? Cela me rendrait service en ce moment et vous pourriez compter sur ma discrétion absolue.
Mille et mille tendres remerciements de votre bonne lettre, cher ami, malgré mon reproche mille remerciements de nous avoir sacrifié Sorèze, mille vœux de prochain revoir.
Alfred
P.S. Si vous en avez le temps faites nous dire par Fontaine le résumé vrai de votre double visite impériale. Quant au discours officiel, je n’ai pas besoin de vous dire avec quelle impatience nous l’attendons.
1Secrétaire de Falloux.
2Marie-Anne Henriette dite Anna de Montalembert, née de Mérode (1818-1904), veuve de Charles de Montalembert avec qui elle s'était mariée en 1836.
4Jaquemet, Antoine-Mathieu-Alexandre (1803-1869), évêque de Nantes depuis 1849, il fut nommé assistant au trône pontifical le 28 janvier 1862. Gallican, il était de tempérament modéré. Il avait accepté de patronner, aux cotés de Dupanloup et de Guibert (évêque de Tours) L’Ami de la Religion.
5Mgr Morlot, François-Nicolas-Madeleine (1795-1862), prélat. Ordonné prêtre en 1820, vicaire général en 1830 et chanoine du chapitre de la cathédrale de Dijon en 1833, il fut nommé évêque d'Orléans en 1839 puis archevêque de Tours en 1842. Il sera créé cardinal-prêtre en 1853 avec le titre de Saint-Nérée et Achille, puis, après l'assassinat de Mgr Sibour, le 3 janvier 1857, il deviendra archevêque de Paris.
6Villemain, Abel-François (1790-1870), critique littéraire, historien et homme politique français. Nommé professeur de littérature française à la Sorbonne en 1816, il fut élu cinq ans plus tard à l’Académie française. Il fut ministre de l’Instruction publique dans le ministère Soult (mai 1839-février 1840) et dans le ministère Soult-Guizot (octobre 1840-décembre 1844). Contraint, pour des raisons de santé de quitter la scène politique, il rentra dans la vie privée et rédigea plusieurs ouvrages sur l’histoire et la littérature.
7Il s’agit d’un compte rendu à paraître dans le Correspondant que Falloux consacra au livre de son ami Armand de Melun Vie de la Sœur Rosalie. Il paraîtra dans le numéro du 25 novembre 1857.