CECI n'est pas EXECUTE 2 juillet 1859

Année 1859 |

2 juillet 1859

Alfred de Falloux à Charles de Montalembert

Caradeuc- Bécherel (Ille et Vilaine), 2 juillet 1859

Ma femme a été bien sensible à votre sympathie, très cher ami, je puis vous assurer qu’elle mérite à tous les titres les sentiments que vous voulez bien lui témoigner. Son dévouement pour son père1, tant qu’il a souffert, a été admirable, sa douleur, depuis, bien profond. Aujourd’hui, sa santé se remet un peu, sous cette action du temps que nous devons tous subir comme une honte aussi bien que comme un bénéfice. Ma belle-mère2 n’a encore songé à parler ni de projet, ni d’affaires, mais tout me donne d’avance la certitude qu’elle consentira à ne plus se séparer de nous, soit à Paris, soit à la campagne ; à moins donc que je ne vous revienne en vertu de quelque chose d’improbable, nous devons considérer tout deux nos pourparler de la rue du Bac comme avortés. Je présume vous être agréable ainsi qu’à Madame de Montalembert3, en coupant court autant que possible aux hésitations toujours si incommode dés qu’il s’agit d’une affaire sérieuse.

De violents maux de tête et une assez vive irritation de poitrine ont été pour moi la suite de quelques jours seulement d’émotion et de fatigue ; c’est ce qui m’a empêché de vous écrire d’abord directement, cher ami, quoi qu’il me soit aussi naturel que doux de vous chercher dès que mon âme est remuée sur un point quelconque. Un reste de souffrance, bien diminué cependant, abrégera encore ma lettre aujourd’hui. Je vise à reconquérir et ménager mes forces pour Madame Swetchine. Le temps me presse et l’importance de cette œuvre me devient plus sensible à mesure que je l’étudie davantage. Le premier chapitre de la vie que je vais reprendre sera presque exclusivement consacré au père Lacordaire et à vous4. Dès qu’il sera approximativement lisible, je vous le soumettrai. Je vais tacher qu’il vous arriver à Maiche5, présumant qu’une fois à la Roche en Breny6, vous aimerez mieux vous occuper de vos propres travaux que des miens. Albert de Broglie m’est infiniment secourable et ami. Répétez-lui, si vous en avez l’occasion ma bien vive connaissance.

Aussitôt les journaux lus, je tâche de les oublier jusqu’aux courriers suivants, pour ne pas trop m’éloigner de la sphère de Madame Swetchine ; mais c’est un grand effort de volonté dans lequel je ne réussis pas toujours. Si je vous accorde que c’est la nation française qui produit les sénateurs et les chambellans et quelques abbés plus ou moins mitrés, convenez aussi que c’est la même nation qui produit cette incomparable végétation d’hommes résolus, intelligents, dévoués et, dans un certain sens chrétien. Il y a donc toujours lieu d’espérer que Dieu la gardera comme l’un des instruments principaux de ses desseins sur le monde, et que nous n’avons qu’à nous armer d’un peu de patience personnelle.

Je vous embrasse, cher ami, d’un cœur tout plat de la plus sincère et de la plus fidèle affection.

Alfred

1Raoul Victor de Caradeuc de La Chalotais, né en 1887, venait de mourir.

2Emilie-Charlotte de Caradeuc, née de Martel (1800-1882).

3Marie-Anne Henriette dite Anna de Montalembert, née de Mérode (1818-1904), épouse de Charles de Montalembert avec qui elle s'était mariée en 1836.

4Falloux s’apprêtait à publier Mme Swetchine, sa vie et ses œuvres, Paris, Librairie Didier, 1860.

5Le château de Maîche, au sud de Montbéliard, près de la Suisse, propriété des Mérode avait été cédé après le décès de Félix de Mérode à l’épouse de Charles de Montalembert.

6Propriété de Montalembert, à La Roche-en-Brenil (Côte-d'Or).


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «2 juillet 1859», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1859,mis à jour le : 23/03/2021