CECI n'est pas EXECUTE 3 août 1859

Année 1859 |

3 août 1859

Alfred de Falloux à Charles de Montalembert

Caradeuc Bécherel (Ille et Vilaine), 3 août 1859

Cher ami,

Je ne voudrais pas essayer de lutter contre votre hésitation seulement, à plus forte raison contre l'impression formelle de Madame de Montalembert1. Laissez-moi seulement vous répéter à tous deux que j'ai voulu et cru me placer uniquement au point de vue de votre gloire la plus pure et la plus solide. Je suis profondément convaincu que ni Veuillot, ni qui que ce soit au monde, n'aurait pu, sans révolter la délicatesse la plus vulgaire, s'armer de vos généreuses ardeurs de vingt ans contre votre carrière tout entière et qu'il n'en serait ressorti qu'un très vif renouvellement de l'admiration que cause votre docilité finale et persévérante. Si ces lettres avaient été publiées sans votre consentement déclaré, la malice aurait pu vous en supposer du dépit et chercher à vous en faire une blessure ; mais du moment où elles paraissaient avec votre aveu authentique, elles devenaient (selon moi) un magnifique exemple pour tous les jeunes générations à venir et le sujet de la plus noble émotion pour vos contemporains d'aujourd'hui.

Quand au récit sur L'Avenir2, cher ami, je n'en ai pas du tout pesé les termes, n'ayant d'autre but que de provoquer vos souvenirs et ceux du Père Lacordaire auquel il était bien naturel que j'en référasse entièrement. Je dis souvenirs et non documents, car il ne me semblait pas que ce fût un procès à recommencer sur pièces, Mais seulement une situation et des pensées principales à retracer en traits rapides. Le tout soit dit pour ma propre justification aux yeux de Madame de Montalembert surtout et <mot illisible> pour revenir sur le fond de la <mot illisible> question, que je tiens, je vous le répète, pour résolue négativement, d'autant plus que le père Lacordaire ne pourra que fortifier des arguments contraires. La répugnance qu'il vient de m'exprimer est plus radicale que la vôtre, tout en portant sur des points différents, puisque les lettres de Madame Swetchine à lui partent au contraire de sa soumission sans retard et sa réserve. Il me paraît que c'est surtout le point de vue politique qui lui porte ombrage et assurément il m'eût été facile de le rassurer à cet égard ; mais comment pourrais-je entreprendre cette liste contre vous deux ? Comment pourrais-je encourir une telle responsabilité, sans la force de votre assentiment spontané et critique ? Croyez bien que ce n'est pas seulement ma délicatesse qui est en jeu vis-à-vis de vous, mais la plus profonde et la plus tendre amitié et que rien ne me consolerait moi-même dans ce qui peut courir le risque de vous affliger.

Je ne suis que médiocrement surpris de ce qui vient de Lecoffre3, ni de ses éminents conseillers ; Mais je suis sûr du moins que vous serez bien vengé du côté du libraire par l'éclatant succès qui ne peut manquer à votre œuvre que ses rivaux vont se disputer. Ne laissez pas, je vous en supplie, cher et très cher ami, ces morsures de puces troubler le calme et le recueillement dont vous avez besoin et livrez-vous uniquement aux grandes pensées, aux grands travaux qui vous rendront le grand service de vous venger aussi bien que de vous servir sans que votre conscience ait à s’en mêler.

N’aurons-nous pas le discours de la distribution des prix de Sorèze4 pour le prochain Correspondant. Quelle paix ! Quelle régénération pour l'Italie ! Quelle situation faite au Saint-Siège ! Quelle illumination de génie, comme dit notre ami l'Univers ! Combien j'aimerais aller m’épancher sur tout cela avec vous à la Roche en Breny. Si tant de choses qui pèsent sur moi en ce moment s'allègent un peu, me le permettrez-vous !!

A. de F.

1Marie-Anne Henriette dite Anna de Montalembert, née de Mérode (1818-1904), épouse de Charles de Montalembert avec qui elle s'était mariée en 1836.

2Périodique fondée par Félicité de Lamennais, auquel Montalembert et Lacordaire collaborèrent avant sa condamnation par Rome.

3Editeur et libraire parisien.

4Depuis le 27 juin 1854, le P. Lacordaire s'est vu confier la direction du collège de Sorèze, dans le Tarn.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «3 août 1859», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1859,mis à jour le : 27/03/2021