CECI n'est pas EXECUTE 2 décembre 1865

Année 1865 |

2 décembre 1865

Alfred de Falloux à Charles de Montalembert

2 décembre 1865

Cher ami,

Vous ne me répondez pas une syllabe et vous me laissez dans le doute sur l'activité d'une coopération dont nous avons si grand besoin. Cependant ma confiance en votre magnanimité est telle que j'en vivrais paisiblement et ne vous relancerais point de nouveau, si je n'étais relancé moi-même par un autre sujet d'inquiétude.

On m’écrit de divers cotés que M. l'archevêque de Paris1 est très tenté de se présenter pour le fauteuil de Dupin2 et que nous ne pouvons conjurer le scandale soit de son élection, soit de son échec, qu'en manifestant bien hautement d'avance qu'il n'aura nos voix à aucun prix. Sans en expliquer explicitement avec moi, l'évêque d'Orléans3, me donne à supposer qu'il entre pleinement dans ce point de vue, car il s'est hâté de me demander ma voix pour M. de Champagny4 je sais qu'il a fait la même démarche auprès de M. de Barante5. Je n'ai assurément aucune objection contre M. de Champagny mais j'y vois surtout dans l'empressement de l'évêque, le désir de pouvoir répondre à son métropolitain ; je ne suis plus libre. A-t-il pris ce parti d'accord avec vous cher ami ?

S'il en est ainsi, Dieu soit loué. Vous voilà quitte de lire une longue lettre et moi de la dicter. Mais si au contraire en vertu des motifs que j'ignore, vous nourrissiez une hésitation quelconque à l'égard de M. Darboy, veuillez nous admettre tous à en délibérer avec vous et accordez-moi le temps de vous présenter des objections que je crois très sérieuse. Pour aujourd'hui je m'en tiens là, car je viens de traverser une très mauvaise semaine et je garde le peu de répit qui me reste pour jouir de la présence du père Gagarin et de Madame de Castellane qui vous envoient tous deux leurs souvenirs.

À vous de tout cœur.

Alfred

P.S. Si vous consentez enfin me répondre, ne manquez pas de me dire un mot de votre santé dont nous sommes tous bien occupés.

Voici votre lettre qui m'arrive et je vous en remercie mille fois, cher ami. J'ai comme vous la plus grande répugnance pour Henri Martin6, qui confine de trop près à l'odieux et à l'absurde. En règle générale, je redoute le père Gratry, qui dans un milieu, comme celui de l'académie sera le jouet perpétuel du premier qui sera là pour l'exploiter. Il votera avec le bon Dieu pendant l'hiver et avec le diable pendant l'été. En tout cas, nous voilà déjà d'accord sur l'exclusive, ni l'archevêque du Sénat, ni le sénateur de l'archevêché ? Pour le reste, je m'en rapporte à vous.

Gardez-vous de croire que ce prodigieux succès de la souscription s'est fait à lui tout seul. Vous n'imaginez pas, ce qu'il a coûté de dévouement au malheureux Cumont et un peu à moi aussi. À votre tour donc maintenant de me dire ce que vous avez fait, ou ce que vous allez faire en Angleterre, en Espagne, en Hongrie, en Allemagne et en Amérique. Je ne vous en tiens pas quitte à moins. Il faut à Lamoricière, autre chose que le monument7 de tout le monde. Quelque fondation militaire et populaire serait à merveille, pour cela il faut 500 000 Fr., mais cela ne dépend plus que de vous. Ils seraient déjà fait si Madame de Montalembert8 et vous étiez venus cet automne au Bourg d’Iré.

1Mgr Darboy, Joseph (1813-1871), archevêque de Paris depuis 1863 et sénateur. De tradition gallicane, Mgr Darboy faisait partie, aux côtés de Mgr Dupanloup, de la minorité des prélats qui souhaitaient le rejet de la définition de l’infaillibilité. Pris comme otage par la Commune, il sera fusillé le 24 mai à la prison de la Roquette.

2Dupin André Marie Jean Jacques Dupin, dit « Dupin aîné » (1783-1865), avocat, magistrat et homme politique. Député en 1815, membre de la Constituante en 1848, président de l'Assemblée législative en 1849, et sénateur en 1857. Il avait été élu à l'Académie française en 1832.

3Mgr Dupanloup.

4Champagny, François-Joseph-Marie-Thérèse Nompère, dit Franz, comte de (1804-1882), écrivain ultra-catholique. Il fut le collaborateur de l’ancien comme du nouveau Correspondant, de L’Ami de la Religion et de la Revue contemporaine. Il sera élu à l’Académie française le 29 avril 1869, en remplacement de Berryer.

5Barante, Prosper, Amable Brugière, baron de (1782-1866), historien et homme politique. Préfet sous l'Empire, conseiller d’État sous la Restauration, il sera nommé pair de France en 1819. Élu député du Puy-de-Dome dés le début de la Restauration il était un des principaux orateurs du parti des Doctrinaires. Devenu diplomate en 1820, il accueillera avec bienveillance l’avènement de la monarchie de Juillet apportant constamment son soutien à la majorité ministérielle. Définitivement éloigné de la scène politique après la révolution de 1848, il consacre son temps à l'écriture. On lui doit en effet de très nombreux travaux. Il était entré à l’académie française en 1828.

6Martin, Henri (1810-1883), historien libéral., il était rédacteur au Siècle, quotidien anticlérical. Après des débuts en littérature, H. Martin s'était consacré à l'histoire. Son Histoire de France en 15 volumes (1833-1836) lui valut le grand prix Gobert à l'Académie des Inscriptions en 1844. Professeur d'histoire à la Sorbonne en 1848, il fut élu à l'Académie des Sciences morales et politiques en 1871. sident

7Il s’agit du projet pour l'érection d'un monument à la gloire du général de Lamoricière.

8Marie-Anne Henriette Ghislaine dite Anna de Montalembert( 1818-1904), née de Mérode, épouse de Ch. De Montalembert depuis 1836.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «2 décembre 1865», correspondance-falloux [En ligne], CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Année 1852-1870, Second Empire, Année 1865,mis à jour le : 15/04/2021