CECI n'est pas EXECUTE 6 janvier 1869

Année 1869 |

6 janvier 1869

Alfred de Falloux à Charles de Montalembert

6 janvier 1869

Très cher ami,

Je pense si constamment à vous, que je vous écris aujourd’hui sans autre motif que le plaisir de vous le dire. Je vous aurais même écrit une lettre de bonne année, si ce jour-là et la veille ma tête n’avait mis son habituel veto à mes petites satisfactions. Nous avons eu pour étrennes vous et moi la verte réponse de Lavedan à Veuillot. On m’écrit que vous n’êtes point d’avis que le correspondant reprenne et épuise ce débat dans le prochain numéro ; je ne conteste pas là-dessus, parce qu’il n’est plus temps, mais je le regrette par des raisons que je croyais bonne, autant que je puis garder confiance en moi, quand je me sens séparé de.

Madame de Castellane est ici pour tout le mois de janvier. Elle me charge bien expressément de vous envoyer ses vœux les plus tendres, ainsi que tout le Bourg d’Iré. Nous nous demandons pourquoi vous restez si longtemps à La Roche1. Si vous continuez à souffrir autant, des médecins et des remèdes mieux sous la main semblerait indiquer ; si, comme nous le demandons ardemment adieu, votre convalescence poursuit sa marche à travers tous vos malaises, l’animation qui vous entoure à Paris doit vous manquer à la Roche, malgré les soins de Madame de Montalembert2, de Mademoiselle Madeleine, de Mademoiselle Thérèse3, malgré tout le charme réuni qu’elles doivent jeter dans votre solitude. Nous avons peur que vous ne restiez dans votre lointain par découragement, par pure misanthropie. S’il en est ainsi que je supplie vos trois anges gardiens visibles de se coaliser contre vous, et de vaincre cette mauvaise disposition. Certainement, à Paris, vous entendrez et vous verrez de plus près ce qui vous irrite, mais vous jouirez du moins de ce qui vous console, et, sans prétendre qu’il y ait entre les deux à l’équilibre parfait, il y a du moins à l’échange qui ranime et qui fortifie, eussiez-vous pour champ de bataille que de lutter contre Théophile Gautier4 qu’on veut nous imposer sur le fauteuil de M. Empis5, comme rançon de M. d’Haussonville6 sur celui de M. Viennet7. Pour le fauteuil de M. Berryer j’espère qu’il ne peut échapper soit à M. de Champagny8 soit à Nettement. M. Thiers avait songé d’abord à M. Duvergier de Hauranne9, mais plusieurs d’entre nous lui en avons demander l’ajournement, qu’il paraît accorder de bonne grâce.

Maintenant, cher ami, ne croyez pas que j’oublie tout ce dont je ne parle pas. Je m’étais limité d’avance par un petit papier parce que j’économise en ce moment mon peu de forces pour un travail sur les élections prochaines que je voudrais envoyer aux Correspondant !

Au revoir, au revoir, je vous embrasse de toute mon âme.

Falloux

1La Roche en Bresnil, propriété de Montalembert dans le Doubs.

2Marie-Anne Henriette dite Anna de Montalembert, née de Mérode (1818-1904), veuve de Charles de Montalembert avec qui elle s'était mariée en 1836.

3Thérèse de Montalembert (1857-1924), fille cadette de Montalembert.

4Théophile Gautier (1811-1872), écrivain, poète et critique. Il s’était déjà porté candidat à l’Académie à plusieurs reprises depuis 1856.

5Adolphe-Joseph Simonis Empis (1795-1868), poète et auteur dramatique, membre, depuis 1847 de l'Académie française.

6Paul-Gabriel Othenin de Cléron, comte d'Haussonville, (1843-1924), avocat, essayiste, historien de la littérature et homme politique français. Élu à l'Assemblée nationale en 1871 (Seine-et-Marne), il ne sera pas réélu et se consacrera à ses activités d'écrivain. Il entrera à l'Académie française en 1888.

7Viennet, Jean Pons Guillaume (1777-1868), auteur dramatique et homme politique. Membre de l'Académie française depuis 1830. Après avoir commencé une carrière militaire, dans la marine, il entra en politique. Député sous la Restauration, il avait contribué à l’avènement de la monarchie de Juillet. Depuis 1848, il s'était retiré de la vie politique.

8Champagny, François-Joseph-Marie-Thérèse Nompère, dit Franz, comte de (1804-1882), écrivain ultra-catholique. Il fut le collaborateur de l’ancien comme du nouveau Correspondant, de L’Ami de la Religion et de la Revue contemporaine. IL avait été élu à l’Académie française le 29 avril 1869, en remplacement de Berry.

9Prosper-Léon Duvergier de Hauranne, (1798-1881), membre du groupe des « Doctrinaires », il collabora au Globe et à la Revue française. Député du Cher de 1831 à 1848, il participa à la campagne des banquets contribuant à la Révolution de Février. Il fut élu à la Constituante et à la Législative, il siégea à droite et combattit la politique de l’Église. Emprisonné après le coup d’État puis libéré, il partit peu après en exil. Rentré en France en août 1852, il se consacra à la rédaction d’une importante Histoire du gouvernement parlementaire en France en 10 volumes et entra à l’Académie française. Après la chute de l’Empire, il avait été un partisan actif de Thiers.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «6 janvier 1869», correspondance-falloux [En ligne], BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Année 1852-1870, Second Empire, Année 1869, CORRESPONDANCES,mis à jour le : 18/04/2021