CECI n'est pas EXECUTE 24 janvier 1865

Année 1865 |

24 janvier 1865

Albert Dumont à Alfred de Falloux

Rome, 24 janvier 1865

Monsieur le comte,

J’aurais été vous remercié depuis longtemps pour la bonté que vous avez eue de m’adresser à plusieurs personnes en Italie et surtout à Mgr de Falloux. C’est son excellent accueil, sa complaisance incomparable et l’attention si ingénieuse qu’il a eu toute chose à prévenir ce que je peux souhaiter que je veux mettre dès le début de cette lettre. Croyez donc, Monsieur le comte à ma bien vivre connaissance et pardonnez-moi de vous le dire si imparfaitement. Mgr de Falloux outre qu’il m’a reçu presque tous les jours et à sa table comme dans son salon ou à son cabinet, m’a présenté à son éminence le cardinal Barnabo1, directeur de la propagande. Je n’ai pas encore pris la liberté de vous confier mon secret. Je vais en Grèce et en Orient pour faire un travail officiel sur quelques pièces d’archéologie ; mais j’y vais aussi pour étudier les chrétientés et voir dans les évêchés, les couvents, les communautés de Syrie et de Turquie quel est l’avenir de ces beaux pays. Rien ne m’était plus précieux que d’entendre dans les missions, l’Église grecque et l’Église latine d’Asie, le cardinal Barnabo lui-même. C’est aussi par son influence que j’ai eu le bonheur d’être reçu en audience très spéciale par Sa Sainteté2. J’aurais regretté dans une occasion si solennel de ne pas prononcer votre nom, puisque je ne peux rien trouver qui m’honore plus que la sympathie que vous avez bien voulu me montrer. J’avouerais aussi, qu’au milieu de tout ce qui se dit, sur les intentions du souverain pontife à l’égard du libéralisme catholique, j’espérais qu’un mot ou deux, même quand Sa Sainteté ne jugerait pas opportun de s’arrêter sur ce point, permettrait de préjuger de son sentiment personnel dans ce débat si grave. Sa Sainteté, à votre nom, a eu une exclamation de bonheur et de contentement ; elle m’a dit que votre dernier travail sur la convention l’avait beaucoup frappé et quand je suis sorti, après que la conversation avait pris quelque temps à notre cours, Sa Sainteté, comme revenant à ce qu’elle m’avait dit de vous et pour me faire comprendre tout de sa reconnaissance, m’a prié de vous écrire qu’il vous donnait bien spécialement sa bénédiction. Je ne sais jusqu’à quel point j’avais le droit d’attendre la seconde page de cette lettre pour y placer ce qui de droit en avait la première ligne.

Je l’ai pas le courage de quitter l’ordre dédié où les paroles du Saint-Père viennent de me conduire pour vous parler, Monsieur le comte, de Monsieur Charles Blanc3 ou plutôt je crois Albert Blanc. Lui-même du reste a dû vous écrire pour vous remercier de votre souvenir et de vous dire en même temps combien j’avais été heureux de vous devoir sa connaissance. Je l’ai trouvé, ce que vous m’aviez dit : fort intelligent et d’une grande franchise ; mais quel absolutisme de principe ! Quelle révolution radicale il rêvent et rêve avec lui tout le cabinet !

Quand je vois les admirables théories de ses partisans du progrès par le libre arbitre et la dépendance politique, la vertu et le dévotement de quelques-uns, quand je songe dans l’histoire à tout ce qu’a fait la liberté, qui est selon une expression usée, la vie même et que je pense à la condamnation si sévère de cette liberté par la première autorité du monde, je suis pris d’une grande

tristesse. Je trouve aux comptes des libres-penseurs révolutionnaires politiques, bien des choses laides, mais j’y trouve une grande part dans ce progrès des temps modernes qui est éclatant comme la lumière; je vois que l’absolutisme religieux de la toute-puissance ecclésiastique avec des bienfaits surhumains ont là des scandales qui ont fait en beaucoup de choses leur ruines. Mais, Monsieur le comte, ne puis-je pas ajourner ces pensées si peu souriantes pour ne  penser qu’à la campagne romaine et à Raphaël? Certes, je ne sacrifierai à rien, me semble-t-il aujourd’hui cette liberté dont il faut tant attendre, mais est-ce aujourd’hui que j’ai à comparer des doctrines avec celui que la cour pontificale a promulguées ? Je serais cependant bien heureux si un mot venu de vous me donnait ou plutôt m’indiquait, me faisant entrevoir comment des esprits libéraux( comme tout leur passé en fait foi) et catholiques ont fait pour s’incliner sans la moindre arrière-pensée ? J’ai infiniment de reconnaissance à vous devoir, Monsieur le comte, parce que j’ai éprouvé toute votre bienveillance. C’est pour cette raison que je fais une demande à laquelle vous n’avez aucun scrupule de ne pas penser si la plus petit obstacle vous fait hésiter à me répondre.

Daignez croire, Monsieur le comte, à la continuité des sentiments si particuliers que vous m’avez permis déjà bien des fois de vous exprimer.

Albert Dumont4, Rome académie de Rome

 

1Barnabo, Alessandro (1801-1874), prélat italien, membre de la Curie romaine, pro-secrétaire de la Congrégation Propaganda Fide, il sera créé cardinal lors du consistoire du 16 juin 1856.

3Charles Blanc (1813-1882), critique d'art, il devint rédacteur en chef de la Gazette des Beaux-Arts et fut nommé directeur des Beaux-Arts de 1848 à 1852 et de 1870 à 1873. Frère de l'homme politique et historien Louis Blanc, il entra à l'Académie le 8 juin 1876 en remplacement de Louis de Carné. Parmi ses importants ouvrages mentionnons son  Histoire des peintres français au XIXe siècle.

4Dumont, Albert (1842-1884), helléniste et archéologue, fondateur de l'École française de Rome.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «24 janvier 1865», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1865,mis à jour le : 07/05/2021