CECI n'est pas EXECUTE 6 décembre 1881

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6 décembre 1881

Camille Doucet à Alfred de Falloux

Paris, le 6 décembre 1881

Monsieur le comte, cher et honoré confrère,

Vous me chargez de mauvaises nouvelles qui me feront maudire de l’académie. Elle apprendra jeudi avec regret que vous êtes souffrant et, en ne vous voyant pas au rendez-vous solennel, juges et candidats déploreront votre absence.

Le voyage est long sans doute et la saison est inclémente ; on osait pourtant compter sur vous et la déception sera grande pour vos amis. Beaucoup vous envieront même au prix d’un rhume.

Vous voilà tirer d’embarras. Que d’ennemis nous allons faire !

Tous les candidats que je vois sont sûrs d’être élus disent-ils. La bataille sera dure sur le premier fauteuil.

La lutte finale sera, je crois, entre Sully Prud’homme1 et Manuel2.

Bornier3 perd de ses chances. Coppée4 seul ne sera pas déçu ; il ne demande que six ou sept voix, il les aura.

M. Pasteur5 passera d’emblée sur le second fauteuil. Maquet6 sur le troisième aura 10 ou 12 voix d’abord.

M. de Mazade7 pourra bien être élu au second ou au troisième tour.

Voilà probablement ce qui se prépare.

Je le parierais, mais je n’en jurerais pas.

Soignez-vous bien au coin de votre feu, puisque vous dédaignez le nôtre.

 

Agréez, je vous prie, chère et illustre confrère, la nouvelle assurance de mon entier dévouement.

Camille Doucet

1Prudhomme, René Armand François, dit Sully Prudhomme (1839-1907), poète, il sera élu à l’Académie française en 1881 et premier lauréat du prix Nobel de littérature en 1901.

2Eugène Manuel (1823-1901), homme de lettres, poète. Profondément attaché à la République, il fut chef de cabinet de Jules Simon en septembre 1870, il est par ailleurs l'un des fondateurs de l'Alliance israélite universelle en 1860. Il deviendra inspecteur de l'académie de Paris en 1872, puis inspecteur général de l'instruction publique en 1878. Il ne sera jamais élu à l’Académie française.

3Bornier, Henri Étienne Charles de (1825-1901), poète, romancier et critique théâtral. Auteur de très nombreux ouvrages dont La Fille de Roland (1875) et Les Noces d'Attila (1880), ce n'est qu'en 1893 qu'il sera élu à l'Académie française.

4Coppée François (1842-1908), poète et auteur dramatique. Il était alors, pour la deuxième fois candidat à l'Académie française. Devancé le 8 décembre 1881 par Sully Prudhomme, il sera élu le 21 février 1884 en remplacement de Victor de Laprade.

5Membre de l'Académie des Sciences depuis 1862, Louis Pasteur se portait candidat à l'Académie française. Il avait écrit à Falloux à ce sujet (voir sa lettre). Il y sera élu en 1882.

6Maquet, Auguste (1813-1888), romancier et dramaturge français, Très lié à Théophile Gautier et à Alexandre Dumas.

7Mazade, Charles Louis Jean Robert de (1820-1893), historien et journaliste. Il était, depuis plusieurs années, le rédacteur politique de la Revue des Deux Mondes. On lui doit de nombreux ouvrages notamment L’Espagne moderne (1855), Lamartine, sa vie littéraire et politique (1872), L'opposition royaliste : Berryer, de Villèle, de Falloux (1894).

Candidat au fauteuil de Jules Dufaure, Charles Mazade sera largement devancé par Victor Cherbuliez, élu avec 17 voix. Il sera néanmoins élu le 7 décembre au fauteuil de Franz de Champagny.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «6 décembre 1881», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1881,mis à jour le : 15/05/2021