CECI n'est pas EXECUTE 19 septembre 1880

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19 septembre 1880

Deydon (R.P.)

Ambarés1, 19 septembre 1880

Monsieur le comte,

M. de Beneteau, votre ancien secrétaire, que j’ai eu l’honneur de voir ces jours-ci, me dit que vous désiriez savoir l’impression produite sur moi par votre seconde lettre avant d’avoir reçu sa visite, je vous propose déjà de vous écrire pour vous remercier des choses si flatteuses et si aimables que vous aviez écrites. J’y suis tenu maintenant par un vrai devoir, puisque vous daignez attacher de l’importance à mon sentiment.

Oui, Monsieur le comte, votre seconde lettre m’a amplement dédommagé et complètement consolé des duretés de la première et je vous suis reconnaissant d’avoir si vite déféré à mon désir. J’ai reconnu dans ce procédé délicat celui dont on m’avait vanté la courtoisie. Car, M. le comte indépendamment de vos écrits et de vos discours, j’avais pour vous connaître les récits d’un de mes anciens maîtres M. l’abbé Laprie2, que vous avez vu, je crois, à Combrée3, et qui, tout séparé qu’il fut de vous par ses tendances et ses sympathies, se plaisait à vous rendre justice et à déclarer n’avoir jamais rencontré adversaire si courtois. Cet éloquent prédicateur m’honore de son amitié, malgré les divergences d’homme et de caractère. Il me disait récemment, quand je lui lus votre lettre et ma réponse : « Tout ce que vous dites là est très vrai ; vous n’aimez pas l’Univers et ses hommes « Umim hoc dissimiles, ad caetera peré gemelli.» C’est lui qui m’engagea à vous écrire, convaincu que vous ne me laisseriez pas sous la douloureuse impression que j’avais ressentie.

Vous dirai-je maintenant que votre discussion sur les paroles fâcheuses échappées à notre illustre défenseur ne m’a pas persuadé. Je suis tenace, d’autant plus tenace que je vise à être modéré. Est-ce esprit de contradiction, est-ce confiance excessive en mon jugement, je trouve que tout le monde se donne des torts dans une polémique. Vous avez regretté certainement les expressions vives et inopportunes que la fougue du tempérament ont arrachées à Montalembert. Pas plus que vous, je ne les ai prises au pied de la lettre. Mais elles m’ont semblé déplorables et je l’ai fait entendre. Je crois en chrétien et en prêtre, qui tâche d’embaumer les défaillances humaines dans les parfums de la charité. C’est ce qu’on m’écrit de la part de M. le comte de Chambord. N’avez-vous pas fait opposition à la publication du travail sur L’Espagne et la liberté ? N’exagérons rien, et ne prenons pas ombrage de personnes et de choses qu’on relève en les prenant trop au sérieux. En attaquant les jésuites, comme ils le font, les mécréants les grandissent. Je crois qu’on a centuplé la force de l’ Univers et son influence en le combattant.

Je suis vraiment honteux de me mettre ainsi à l’aise avec vous, mais la bonté avec laquelle vous vous dites un de mes amis inconnus m’a ouvert le cœur et je compte sur cette bonté pour m’excuser s’il en est besoin.

Agréez, Monsieur le comte, l’assurance du profond respect et de la sincère reconnaissance avec lesquels j’ai l’honneur d’être votre tout dévoué serviteur frère en N. S. et en la Ste Église

P.S. Deydon curé

 

1Ambarés-et-Lagrave, commune de la Gironde.

2Laprie, Félix (1825-1898), chanoine.

3Petite bourgade angevine, proche du Bourg d'Iré et où fut créé un collège catholique peu après le vote de la loi de 1850.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «19 septembre 1880», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1880,mis à jour le : 17/05/2021