CECI n'est pas EXECUTE Début août 1880

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Début août 1880

Alfred de Falloux à Antoine Deydon

Début Août 1880 (réponse d’Alfred de Falloux à la lettre du curé du 3 août 1880)

Monsieur le curé,

Une lettre si pleine de loyauté, de bonne grâce et de modestie toucherait le cœur le plus pur et j’ai hâte de vous exprimer ma profonde reconnaissance. Je me sens très heureux de me trouver plus que je n’avais osé l’espérer d’accord avec un homme tel que vous, car nous ne sommes plus séparés par des principes ou par des idées, mais seulement par une erreur de fait et c’est moi qui vous demande aujourd’hui d’avoir la bonté d’oublier mon involontaire injustice.

J’admets absolument comme vous l’indépendance de la critique, même au milieu de l’éloge et surtout au milieu de l’éloge dont elle constate et rehausse la sincérité ; vous voulez bien de votre côté reconnaître que nous souffrons grandement aujourd’hui des fautes très gratuites et quelques-unes très coupables qui ont été commises avec tant d’obstination par quelques catholiques. Que reste-t-il donc entre nous ?

Il reste l’idole du Vatican, mot qu’on a détourné très sciemment, très perfidement de son sens naturel et à l’aide duquel on a surpris des jugements tels que le vôtre ; M. de M1. n’a jamais voulu dire, n’a jamais dit qu’il y eut une idole au Vatican, ni une idolâtrie dans le catholicisme ; il a voulu dire et il a dit uniquement que certains hommes voulaient transformer une très légitime vénération en véritable idolâtrie. Cette allégation prise dans son véritable sens était-elle fausse ? Assurément non. Était-elle opportune dans les circonstances où elle s’est produite ? Était-elle exprimée avec assez de clarté pour que la mauvaise foi ne put s’en servir ! Ici, je conviens volontiers, non d’un crime, mais d’un tort, tort qui a en lui-même son explication et son excuse: M. de M. portait partout jusque dans ses moindres billets son ardeur et sa véhémence ; il a été éloquent dans la plainte comme il l’avait été dans l’apologie ; il n’a pas plus calculé l’une que l’autre. Son âme était ainsi que vous l’avez cruellement dit transparente comme du cristal et il ne songeait pas plus à dissimuler les irritations que les dominations. On a trouvé ce tempérament admirable tant qu’on a jugé à propos de s’en servir ; on est devenu injuste et implacable des qu’on a rencontré en lui une objection ou une résistance dans les questions, dans les discussions les plus licites.

Voilà, Monsieur le curé, selon moi et d’après votre lettre même dont je vous remercie de nouveau, ce que vous n’avez pas assez laissé entrevoir dans les dernières pages de votre beau travail et ce que le mot Pardon inscrit solennellement sur une tombe ne laisse point suffisamment comprendre. M. de M. le prononçant pour lui-même et sur lui-même au terme de sa carrière ne remplissez que le devoir élémentaire du chrétien qui a toujours lieu de s’humilier et de se frapper la poitrine à la fin de l’existence, humainement parlant la plus pure. Mais ce mot repris par un prêtre prononcé comme un résumé et comme un jugement au nom de l’Église, prend un tout autre caractère, il provoque et justifie s’il est fondé l’idée d’une de ces fautes notoires et capitales qui ne peuvent aboutir qu’à l’un de ces deux termes : l’impénitence absolue ou l’humble repentir. Le mot Pardon ce fut naturellement présenté à la bouche d’un orateur chrétien dans l’oraison funèbre de M. de Lamennais2, si M. de Lamennais eut voulu mériter une oraison funèbre ; il se retrouverait encore pour le père Hyacinthe3, si le père Hyacinthe se rendait digne de l’entendre de son vivant ou après sa mort. Mais c’est précisément pour cela qu’il ne peut s’appliquer à Montalembert.

Vous pouvez voir, Monsieur le curé, par ma propre franchise, quel cas je fais de la votre et combien je m’estime heureux d’avoir eu l’occasion de m’expliquer avec vous cœur à cœur. Veuillez donc demeurer bien convaincu non seulement de ma plus cordiale et de ma plus respectueuse sympathie mais aussi de mon plus sincère désir d’être compté désormais parmi vos amis inconnus, mais très dévoués.

Falloux

 

1Il s’agit de M. de Montalembert.

2Hugues-Félicité Robert de Lamennais, écrivain et philosophe chrétien français. Ordonné prêtre en 1819, il était opposé aux doctrines gallicanes et considérait préférable de se tourner vers Rome pour résister aux prétentions du pouvoir civil. Ses idées en faveur des libertés favorisèrent le développement du catholicisme libéral. Ses écrits et son journal L'Avenir furent néanmoins condamnées en 1832 par Grégoire XVI (encyclique Mirari Vos). Abandonné par ses plus fidèles partisans, notamment Lacordaire et Montalembert, refusant de se soumettre, il fut à nouveau condamné par Rome pour ses Paroles d'un croyant, en 1834 (encyclique Singularis nos).

3Loyson, Charles (1827-1912) en religion le  P. Hyacinthe. Après un passage chez les Dominicains, il était entré en 1862 chez les Carmes. Prédicateur de Notre-Dame de Paris de 1864 à 1869, il était admiré pour son éloquence et sa générosité. Lié aux catholiques libéraux, ses éloges de 1789 lui attirèrent bientôt de vives attaques de la part des intransigeants. Favorable aux idées modernes, partisan d’un rapprochement entre catholicisme, protestantisme et judaïsme, sa foi sembla quelque peu ébranlée à partir de 1868, année au cours de laquelle il fit par ailleurs connaissance d’une jeune veuve américaine récemment convertie, Mme Émilie Meriman dont il s’éprit et qu’il épousera en 1872. Ses rapports avec plusieurs athées notoires et ses hardiesses de langage le rendirent rapidement suspect à Rome où il dut aller s’expliquer. De retour à Paris il se compromit définitivement par un discours prononcé le 24 juin 1869 au Congrès de la Paix, congrès interconfessionnel. Le général des Carmes lui ayant ordonné de cesser le ministère de ses prédications, le P. Hyacinthe lui adressa, le 20 septembre, sa décision de quitter le Carmel. Excommunié, le P. Hyacinthe n’entendait pas cependant s’éloigner définitivement de l’Église. Il en fut néanmoins rejeté par la proclamation de l’infaillibilité pontificale contre laquelle il publia le 30 juillet 1870 une vive protestation. Il rentra par la suite en relation avec Döllinger. Curé de la paroisse catholique de Genève pendant quelque temps, il fonda à Paris une « Église gallicane » et prêcha partout la réconciliation entre catholicisme et protestantisme. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages dont Liturgie de l’Église catholique gallicane (1883) et Les Principes de la réforme catholique (1878). De plus en plus attaqué pour ses prises de position libérales et déçu par les progrès de l'ultramontanisme, il rompit publiquement avec l’Église en septembre 1869 continuant cependant à se dire « prêtre catholique » puis « prêtre du vrai Dieu ».


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «Début août 1880», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1880,mis à jour le : 18/05/2021