CECI n'est pas EXECUTE 5 janvier 1864

Année 1864 |

5 janvier 1864

Alfred-Auguste Cuvillier-Fleury à ?

Paris, Passy, le 5 janvier 1864

Cher Monsieur,

Je vous remercie beaucoup de m’avoir communiqué quelques passages d’une lettre que M. le comte de Falloux vous a récemment écrite et qui me concernent. Laissez-moi vous dire d’abord que je lirai avec grand plaisir l’Étude biographique composée par M. Ernest Naville1, et que je sais un gré infini à M. de Falloux de me l’avoir fait remettre. Le sujet que traite M. Naville m’a toujours attiré. Si ce n’est pas moi qui ai parlé le premier de Mme de Swetchine aux lecteurs du Journal des débats, c’est que Prévost-Paradol avait pris les devants quand j’y ai songé. Cette priorité, qu’un de mes collaborateurs s’est donnée, nous la respectons une fois qu’il l’a prise ; et il arrive même que nous ne pouvons plus guère parler, sans son aveu, de l’auteur qu’il a jugé. Telle est ma situation vis-à-vis de Prévost-Paradol. Je ne doute pas néanmoins, comme il est mon ami et le plus obligeant des hommes, qu’il ne me laissât toute facilité de revenir sur le sujet qu’il avait abordé avant moi, si une occasion s’en présentait, soit un nouvel écrit, soit une nouvelle édition des anciens. Il serait possible alors dit rattacher quelques réflexions sur l’œuvre de M. Naville.

Maintenant, cher Monsieur, dois-je me défendre d’avoir jamais entretenu des sentiments d’une hostilité soit systématique soit accidentelle, à l’encontre des hommes éminents que M. de Falloux appelle le côté religieux et légitimiste de l’académie ? Quand j’ai eu à parler de lui au moment de sa réception académique, l’ai-je fait en bons termes ? Avais-je ou non, le sentiment de sa valeur comme politique et comme orateur ? J’ai ainsi parlé, en toute occurrence, de tous ses amis, ce n’est pas ma faute si aucun d’eux ne m’a jamais confié l’examen de ces ouvrages. Mais M. le duc de Noailles peut-il dire que je n’ai pas saisi toutes les occasions de rendre justice à l’historien de Mme de Maintenon2 ? Récemment, à propos de la réimpression de Sobieski, ne ferais-je pas allusion à un éloquent appel de M. le comte de Montalembert en faveur de la Pologne ?

J’ai envoyé tous mes livres à Mgr l’évêque d’Orléans3, et il m’a répondu avec une effusion de bienveillance tout à fait encourageante. M. Berryer sait bien jusqu’où va mon admiration pour son talent. J’ai fait plusieurs articles sur M. de Laprade4. Voilà pour les autres.

Quant au parti, toutes les fois que j’ai voulu opposer, aux tristesses du présent, le passé libre et libéral dont la France a joui pendant trente ans, sous trois règnes, ai-je jamais manqué de faire, à ce titre l’éloge de la Restauration ? Je suis revenu vingt fois sur cet éloge dans mes Études sur M. Guizot et sur M. Thiers. Avoir été libéral sous le drapeau blanc est presque un plus grand mérite à mes yeux que de l’avoir été sous le drapeau tricolore, parce que cela semblait plus difficile.

Il y a bien loin de pareils sentiments à une hostilité systématique ou accidentelle.

Je ne dis rien de plus, cher monsieur ; veuillez tirer de cette lettre les éléments d’une réponse à M. le comte de Falloux, ou l’envoyer même, si vous le jugez à propos, toute entière.

Je pense tout haut avec vous, comme avec tout le monde. L’habitude de parler au public ne me laisse aucun moyen de sacrifice.

Croyez, Monsieur, à ma gratitude pour votre obligeante entremise, comme à mes sentiments les plus distingués et les plus dévoués.

Cuvillier-Fleury

 

1Naville, Ernest (1816-1909), philosophe genevois protestant. Éditeur des Œuvres inédites de Maine de Biran (3 vols.1959). Auteurs de divers ouvrages philosophiques dont Les philosophies négatives (1900). Proche du philosophe spiritualiste Charles Secrétan, il a longtemps combattu en faveur de la représentation proportionnelle et pour la paix confessionnelle.

2P. de Noailles, Histoire de Madame de Maintenon et des principaux évènements du règne de Louis XIV, Patis, 1849.

4Laprade, Victor Richard de (1812-1883), poète et littérateur. Il fut nommé professeur de littérature à la faculté des lettres de Lyon en 1848. De sentiment légitimiste et catholique libéral, il collabora au Correspondant et fut élu à l’Académie française le 11 février 1858. En 1861, suite à la publication, par le Correspondant, de ses Muses d’État, Laprade fut révoqué en tant que fonctionnaire et la revue reçut un avertissement.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «5 janvier 1864», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1864,mis à jour le : 29/05/2021