CECI n'est pas EXECUTE 22 décembre 1871

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22 décembre 1871

Alfred-Auguste Cuvillier-Fleury à Alfred de Falloux

Paris, Passy (4 avenue Raphael), le 22 décembre 1871

J’avais à cœur, avant de répondre à votre lettre beaucoup trop flatteuse du 18 courant, de pouvoir vous entretenir de notre séance d’hier à l’Académie française. On y devait discuter les titres des différents candidats. Il devait vous importer de savoir le résultat ou tout au moins l’historique de cette discussion ; car on n’a rien dessiné, et on a beaucoup parlé. L’évêque d’Orléans1 s’est éloquemment attaqué à la candidature de Littré2; il l’a jugée à son point de vue, pièces sur table ; le souvenir des effroyables épreuves d’où nous sortons a prêté à son langage une singulière énergie, et un accent d’indignation douloureuse contre les doctrinaires du matérialisme et du socialisme. L’assemblée était relativement nombreuse. Vitet3 a soutenu l’évêque. Legouvé4 , de Sacy5 et surtout M. Guizot l’ont combattu, M. Guizot avec des arguments, tout politique et en mettant, sur le compte de la liberté des opinions et des croyances, des énormités de doctrine qui n’enlevaient au candidat ni sa valeur d’érudit et d’écrivain, ni son juste renom d’honnête homme. On s’est séparé sans conclure. adhuc sub judice lis est6 Le juge, ce sera le scrutin du 18, si toutefois le jour n’est pas prorogé jusqu’au dimanche 31, pour la convenance des académiciens législateurs. En tout cas, vous serez averti. Je crois bien la candidature de Littré compromise ; je pense que celle du duc d’Aumale est tout près de réussir ; mais il ne faut répondre de rien. Tous les deux autres fauteuils (Paradol et Mérimée7), les meilleures chances sont pour Camille Rousset8 et Loménie9. Edmond About10 a aussi un assez fort parti. M. Thiers est pour lui.

Toutes ces informations, cher et très éminent confrère, sont destinées, non pas à rester secrètes, - car elles ont pu vous arriver d’ailleurs, mais à n’être communiqué qu’avec votre délicate et habituelle réserve.

J’ai prié M. Fontaine11 de me faire savoir comment je pourrais vous adresser les exemplaires de nos deux discours (réception de Marmier12), que vous voulez bien me demander. Vous ne sauriez me marquer plus d’honneur soit au nom de vos respectables amis, soit au votre. Je savais bien que ma réponse à mon récipiendaire avait été écoutée avec indulgence. Je me défiais de la lecture. Votre suffrage est bien de ceux qui encouragent et qui rassurent.

Veuillez avec tous mes remerciements agréer l’hommage de mon tout affectueux dévouement.

Cuvillier-Fleury

2Émile Maximilien Paul Littré (1801-1881), lexicographe, philosophe et homme politique. Célèbre pour son Dictionnaire de la langue française, sa candidature en 1963 fut âprement combattue par Mgr Dupanloup qui lui reprochait son athéisme. Il sera néanmoins élu le 30 décembre 1871, ce qui amènera Mgr Dupanloup à donner sa démission en signe de protestation.

3Vitet, Louis Ludovic (1802-1873). Ancien élève de l’École Normale Supérieure, il collabora au Globe et publia divers ouvrages. Élu député de Bolbec (1834), il devint vice-président du Conseil d’État. Le 8 mai 1845, il entra à l’Académie française. Député à la Législative, il siégea avec la droite monarchiste. Il se retira dans la vie privée après le coup d’État. En 1871, il se fit élire à l’Assemblée Nationale. Il publia plusieurs ouvrages dont De l’état actuel du christianisme en France, en 1867.

4Legouvé, Ernest Gabriel Jean-Baptiste (1807-1903), auteur dramatique et essayiste. Fils de l'académicien Jean-Baptiste Legouvé (1764-1812), il avait obtenu, en 1827, le prix de l'Académie pour son poème, Découverte de l'Imprimerie. Il était membre de l'Académie française depuis le Ier mars 1855.

5Sacy, Samuel-Ustazade-Silvestre de (1801-1879), écrivain et homme politique français, il fut nommé conservateur à la Bibliothèque Mazarine en 1836. Fils du célèbre orientaliste, il fut critique littéraire au Journal des Débats où il rédigea une grande partie des articles politiques jusqu'au coup d’état du 2 décembre se consacrant alors uniquement aux questions littéraires. Élu à l’Académie française en 1854, il entra au Sénat en 1865 bien qu’il ait été élu comme opposant au régime impérial.

6« Le procès est encore devant le juge ».

7Mérimée, Prosper (1803-1870), romancier. Familier de la cour impériale de Napoléon III, passionné d'archéologie, collaborateur de la Revue des Deux Mondes, auteur de romans célèbres (Carmen), entré à l’académie en 1844, il était très hostile aux catholiques de l'Académie.

8Camille Rousset (1821-1892), auteur d'ouvrages militaires.

9Loménie, Louis de (1815-1878), essayiste. Professeur de littérature française au Collège de France et à l’École Polytechnique, il est l'auteur d'une importante Galerie des Contemporains illustres par un Homme de rien, en 10 volumes (1840-1847). Il sera élu à l'Académie le 30 décembre 1871 en remplacement de P. Mérimée.

10About, Edmond (1828-1885), journaliste, directeur du XIXeSiècle. Très anticlérical s'était porté candidat à l'Académie française. Battu à deux reprises, la première fois contre A. de Broglie, puis contre le comte de Pongerville, il sera élu le 24 janvier 1884.

11Secrétaire de Falloux.

12Xavier Marmier (1808-1892), journaliste et écrivain. Rédacteur en chef de la Revue germanique, puis administrateur général de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, il propagea en France la langue et la littérature allemandes. Il avait donné des leçons de littérature aux deux filles de Louis-Philippe, Clémentine et Marie. Il collabora également à la Revue des Deux Mondes. Il fut élu à l’Académie française le 19 mai 1870. On lui doit un Journal (1848-1890) important qui fut publié en 1968 (Droz, 812 p.).


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «22 décembre 1871», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1871,mis à jour le : 08/06/2021