CECI n'est pas EXECUTE 9 juin 1840

Année 1840 |

9 juin 1840

Louis-Paul de Jouenne d’Esgrigny à Alfred de Falloux

9 juin |1840]

Si vous avez su, comme je l’espère, à cause de mon silence, vous m’avez plaint, mon cher ami, et vous ne m’en voulez pas. Votre beau, votre excellent livre m’est arrivé le jour même où ma mère a été prise d’une maladie qui a failli me l’enlever ; depuis six semaines je n’ai pas vécu ; elle est mieux, mais ce mieux ou plutôt ce moins mal est si peu décisif, si incertain, si entravé de mauvais retour que la sécurité ne m’est pas revenue. Cependant, j’ai l’esprit plus libre depuis quelques jours, j’ai pu vous lire, et de plus j’ai lu à ma mère quelques passages qui lui ont fait grand plaisir ; ils allaient si bien à toutes ses anciennes et fidèles religions.

Ce livre est bien plus fort d’ensemble que je ne l’avais jugé par fragments, vous lui feriez un peu tort en le lisant par chapitre ça et là. Et puis c’est mieux qu’un livre, c’est une œuvre de piété nationale. Il faut qu’un peuple embaume et enterre ses morts glorieux, et réhabilite ses calomnies. Sans effort, sans char académique ; sans vanité ni pompes, sans l’affectation du symbole du mythe, sans rien idéaliser, en disant l’homme, vous avez fait justice. L’Ecce homo, de la vieille royauté française touche ainsi tous les cœurs. Pourquoi ce qui s’en va a-t-il ses martyrs comme ce qui arrive ? L’expiation est une explication, elle résout presque tous les problèmes que pose l’impatience humaine, vous l’avez remarqué.

Dans un temps où tout historien croit se devoir de donner la moitié de son livre aux fantaisies de sa pensée, aux coquetteries de son esprit, ou même aux larges exigences de sa personne, je ne puis vous dire avec quel plaisir j’ai trouvé un volume rempli d’un bout à l’autre du sujet proposé. On fait bonne part à qui ne se la fait pas.

Vous comprenez, n’est-il pas vrai ? Avec quel double plaisir je me fus occupé de votre œuvre, j’avais à dire ce qu’on aime à dire. L’article serait inséré, et la promesse que je m’étais faite plus qu’à vous tenue ! Mais si j’ai perdu vous ne perdrez rien, Moreau1 vous empêchera bien de vous souvenir de moi.

J’espère que vous êtes plus heureux que je ne suis, que Madame votre mère est remise sans arrière souffrance, je vous le souhaite de tout mon cœur. Adieu, merci, quand donc à revoir.

L. de J. D’Esgrigny2

1Sans doute Henry Moreau, collaborateur du Correspondant et secrétaire de P.A. Berryer.

2D’Esgrigny, Louis de Jouenne (1812-1883).


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «9 juin 1840», correspondance-falloux [En ligne], Années 1837-1848, Monarchie de Juillet, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1840,mis à jour le : 25/05/2022