CECI n'est pas EXECUTE 5 août 1859

Année 1859 |

5 août 1859

Théophile Foisset à Alfred de Falloux

5 août 1859

Mon cher ami, la question italienne et plus spécialement la question romaine continuent de faire le désespoir des catholiques non pas en France seulement, mais en Suisse, en Belgique, en Angleterre, en Irlande.

L'article en tête du Constitutionnel d'hier, signé Grandguillot1, et contenant des rapports autrichiens sur les vices du gouvernement de Pie VII, a fait la plus vive sensation à Dijon parmi mes collègues de la cour : About2 est dépassé et c'est le catholique Eugène Rendu3 qui a rendu au Pape4 le service de faire connaître ces énormités, que mes collègues prennent au mot. Ce que je leur entend dire rend plus vif que jamais le délire que je vous ai exprimé de voir publier sous un nom qui aurait de l'autorité, l'examen de la question romaine où l'on ferait usage du mémoire Rayneval5 et des témoignages des documents de M. de Corcelle.

Entendez-moi bien : il ne s'agit pas de réimprimer purement et simplement le mémoire Rayneval ; il s'agit d’y puiser des faits et d'en tirer tout le parti possible.

Il ne s'agit pas non plus de soutenir que tout est bien. Je ne suis le <mot illisible> d'aucun abus et je ne demande point qu’on maintienne ou qu’on défende ce qui est mal. On ne défendrait que ce qui a droit à être défendu et l'on se tairait sur le reste, en disant seulement en termes généraux que rien n'est parfait en ce qui est humain et qu'on peut s'en fier à Pie IX du soin de réformer les abus dans la mesure du possible. On peut citer ce qu'il a fait et ce qu'il a tenté dans cette voie : ses bonnes intentions ne sont douteuses pour personne.

Pour moi, je ne prends pas mon parti de ce qui se passe en Italie depuis trois semaines. Les préliminaires de Villafranca6 y sont <trois mots illisibles> nous avons pour le Piémont, M. Falicon est resté dictateur à Bologne, M. Broncomparqui7 à Florence, M. Pallienni à Parme, M. Fariani à Modene. La guerre est finie, mais les pouvoirs extraordinaires dont elle était le prétexte demeurent en vigueur. La liberté de la presse n'est rétablie nulle part. Les soldats d’Ollon, de Megguange, de Victor-Emmanuel8 protègent pourtant, l’arme au bras, les manifestations unanimes que vous savez. La France, cède pour la fameuse programmation de Milan, regarde faire ces italiens qui déchirent à qui mieux mieux la signature qu'elle a demandée à Villafranca. L'ordre règne, c'est-à-dire qu'on ne pille pas les boutiques et qu'on n’assassine pas dans les rues. Et toute la presse européenne bat des mains. Comme l’a dit à la tribune anglaise M. Bowyer, c’est là un droit public tout nouveau que Grotius9 et Puffendorf10 ne soupçonnaient pas.

Puisque j’ai nommé M. Bowyer, je vous dirai que je n’ai rien lu depuis longtemps qui m’ait fait autant de plaisir que son discours et celui de M. Maguire, à la France de la Chambre des communes du 28 juillet. C’est ainsi qu’on sait parler dans les pays libres.

Mais quelle hypocrisie, quelles comédies que ces manifestations unanimes, ces parades bruyantes qui se font dans la Romagne et dans les duchés sous la pression de la dictature, et des baïonnettes révolutionnaires ! Voyez Parme : il n’est pas douteux que la duchesse n’y ait des amis, puisqu’elle a été rétablie dans ses droits par un mouvement spontané des habitants et de l’armée. Eh bien ! Pas une voix n’y proteste en sa faveur depuis la paix de Villafranca. Mensonge, honteux, mensonge que ces démonstrations piémontaises de Parme, dont le Nord et L’Indépendance belge font tant de bruit ! Il y a là comme dans toute l’Italie, des gens compromis qui ne veulent à aucun prix se retrouver en face des princes qu’ils ont chassés et qui font du pis qu’ils peuvent pour empêcher leur retour ; il y a les agents piémontais, qui par ambition, soufflent le feu de leur mieux ; il y a la France qui s’est mise dans la plus fausse position du monde et qui ne sait comment en sortir. Voilà le vrai.

Quant au Correspondant, je le dis avec douleur, il n’a pas le sens catholique au degré que je voudrais. M. Meignan11, sous ce rapport, n’a pas tenu ce que j’attendais de lui. Je vois avec plus de regret que je ne peux le dire que nous nous aliénons tout à fait des hommes excellents comme Baudon12. Je vous communique deux lettres de ce dernier qui en sont la preuve.

Nous sommes très catholiques assurément ; nous avons la ferme volonté de demeurer tels ; mais nous sommes encore plus libéraux que catholiques. Or l’intérêt de la vérité religieuse passe avant tout autre, à mon sens, et c’est là ce dont nous ne paraissons point tenir assez de compte en nombre d’occasions. Le dernier article du P. Lacordaire en est un exemple : s’il m’eut été communiqué en épreuve, j’aurai demandé à l’auteur des accommodements et peut-être les aurais-je obtenus.

Enfin, mon cher ami, vous ne pouvez dire que je ne suis un modéré : à cet égard, je n’ai cessé de faire mes preuves et mon dernier article sur M. Guizot suffirait à lui seul. Eh bien ! Vous voyez que le Correspondant ne me satisfait nullement sur un point capital ; je le trouve tiède en ce qui touche Pie IX ; il a des paroles convenables, je ne dis pas assez, il a des paroles sympathiques et filiales, pour le St Siège ; mais il n’insiste pas, il ne va pas au fond de la question comme doit le faire un fils qui voit frapper son père et qui sait qu’on mine le terrain pour le faire sauter en l’air au premier jour.

Je veux vous laisser sous cette impression à Dieu ! Mon cher ami, vous voyez que j’ai confiance en vous.

Foisset

Renvoyez-moi les lettres de Baudon.

1Grandguillot, Alcide (1829-1891), journaliste, collaborateur du Constitutionnel.

2Edmond About (1828-1885), journaliste, directeur du XIXe Siècle, très anticlérical,

3Rendu, Eugène Marie Victor (1824-1902), journaliste et pédagogue. Ayant entrepris un voyage en Italie, il s'était lié à plusieurs hauts personnages de ce pays, notamment le comte Balbo et Massimo d'Azeglio. Revenu en France, il était entré aux côtés du P. Lacordaire à l’Ère Nouvelle, journal fondé au lendemain de la Révolution de Février par les catholiques ralliés à la démocratie.En 1861, il sera nommé Inspecteur général de l'instruction publique en 1861. Candidat indépendant de Seine-et-Oise en 1876, il entra à la chambre où il soutint au 16 mai le ministère de Broglie contre les 363 et ne se représenta pas losr des élections du 14 octobre 1877.

5Il s’agit du mémoire présenté au Conseil d’État par Rayneval, alors diplomate, à l’issue de sa mission à Rome, en mai 1849.

Alphonse Gérard, comte de Rayneval (1813-1858), diplomate. Fils et petit-fils de diplomate, il était alors représentant de la France à Naples. Nommé ambassadeur de France à Rome en 1850, il y demeurera jusqu'en 1857.

6Le 11 juillet 1859, l’entrevue de Villafranca s’était soldée par une armistice entre la France et l’Autriche mettant ainsi fin à l’intervention militaire française, au grand dam de plusieurs catholiques dont Montalembert.

7Nom incertain car peu lisible.

8Victor-Emmanuel II de Savoie (1820-1878), prince de Piémont, comte de Nice et roi de Sardaigne de 1849 à 1861, il fut le premier roi d'Italie de 17 mars 1861 jusqu'à sa mort. Effectuant un séjour n France, il venait d'être reçu à l'Hôtel de ville.

9Grotius, Hugo (1583-1645), juriste hollandais.

10Pufendorf, Samuel von (1632-1694), historien, juriste et philosphe allemand.

11Meignan Guillaume-René (1817-1896), collaborateur du Correspondant, il avait fondé avec Cochin, les premiers cercles d’ouvriers du Boulevard Montparnasse. Membre du clergé de Paris, l'un des rares représentants en France au milieu du XIX d'une exégèse progressiste, très lié au groupe catholique libéral du Correspondant. Évêque de Châlons sur Marne en 1864 membre de la Minorité au Concile Vatican I, transféré à Arras en 1882, il succéda à Mgr Colet à l'archevêché de Tours en 1884. Cardinal en 1893, il fut l'un des rares évêques français de l'époque soucieux de relever le niveau scientifique du clergé. Voir H. Boissonnot, Le cardinal Meignan, Paris, 1899.

12Baudon de Mony, Adolphe (1819-1888), il avait été nommé à la présidence des Conférences de Saint-Vincent-de-Paul dés 1847, fonction qu'il exercera jusqu'à sa mort.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «5 août 1859», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1859,mis à jour le : 05/07/2021