1878 |
12 janvier 1878
Edouard de Fitz-James à Alfred de Falloux
Sr Benezet, par St Gilles – Gard
12 janvier 1878
Mon cher Falloux,
Me voilà bien en retard pour vous remercier, vous et qui de droit pour la pauvre mère Blot et vous dire combien je pense à vous toujours avec une affection qui restera fidèle. Je vous souhaite à vous et à tous au Bourg d’Iré une bonne année et le paradis à la fin de vos jours. C'est ainsi qu'on s'exprime dans notre bon pays d'Anjou que je ne cesserai jamais d'aimer.
Je ne vous parlerai pas non plus de la politique générale, c'est trop triste ! Je vous dirai seulement qu'ici dans le cas où je suis depuis octobre et où je resterai tant qu'il sera nécessaire, nous sommes absolument sur la brèche. Notre conseil général a été souvent troublé par les agissements de nos radicaux dont nous possédons un bouquet assorti. Chaque fois qu'il a été question de Dieu, de l'armée, de ce qui est juste, ils ont poussé de véritables rugissements insensés. Je leur ai tenu tête avec Baragnon1, Tarteron2 et d'autres de mon mieux. Ma maison est assiégée de malheureux petits fonctionnaires gardes-champêtres, cantonniers etc. etc. chargé de famille qui n'avaient que leur mince traitement pour vivre et qui sont révoqués parce qu'ils sont catholiques et conservateurs ! Cela fend le cœur ! C'est une véritable persécution ! Il est grand temps que Dieu ait pitié de nous… j'ai cru entrevoir l'aurore du salut quand j'ai vu qu’on pensait à vous pour le Sénat ? Je garde la conviction, mon cher Falloux, que rien de bon ne se fera que par vous et quand vous rentrerez aux chambres et aux affaires.
Je vous envoie aujourd'hui deux numéros du journal radical Le Midi, l'un contient l'attaque contre moi l'autre ma réponse. J'espère que vous la trouverez bonne ? J'ai envoyé le tout à l'Union de l'Ouest.
Le sénateur Bonnefoy-Sibour3 qui était mon collègue au conseil général ne valait rien. Son fils4 qui l'a remplacé au conseil général ne vaut pas mieux. Son second fils5, que vous avez pour sous-préfet à Segré ! est tout pareil. Tous les miens sont dispersés dans leur garnison ou à Paris. Je suis seul ici avec Jacques qui va recevoir enfin son épaulette. A revoir mon cher Falloux, soyez mon interprète auprès de Madame de Caradeuc, et de Mademoiselle de Falloux, qu'elles agréent tous mes vœux très respectueux et très affectueux.
Un bon souvenir à votre jeune et aimable secrétaire et à M. Lemanceau6. Je vous embrasse de tout mon cœur.
Duc de Fitz-James
1Baragnon Pierre Joseph Louis Numa (1835-1892), avocat et homme politique français. Légitimiste, il fut élu député du Gard en 1871. Il entrera dans le deuxième gouvernement Albert de Broglie comme sous-secrétaire d'État à la vice-présidence du conseil et à l'Intérieur et fut nommé sous-secrétaire d'État à la Justice dans le gouvernement Ernest Courtot de Cissey. Elu sénateur inamovible le 15 novembre 1878.
2Tarteron Félix de (1821-1888), avocat et homme politique légitimiste, il siégea au comité des Neuf chargé de préparer la restauration du comte de Chambord.
3Bonnefoy-Sibour, Jacques (1821-1876). Rallié au régime républicain en 1870, révoqué de ses fonctions de maire par Albert de Broglie, Élu comme républicain modéré aux élections sénatoriales de 1876, il siégea au centre-gauche mais mourut la même année.
4Bonnefoy-Sibour, Georges (1849-1918), maire de Pont-Saint-Esprit (Gard), puis conseiller général en 1877. Il est député du Gard de 1889 à 1893. En 1894, il est élu sénateur et conserve son poste jusqu'à son décès. Il siège au groupe de la Gauche démocratique . En 1906, il est le rapporteur du projet de loi réhabilitation du capitaine Dreyfus. Il est secrétaire du Sénat de 1897 à 1899 et questeur de 1903 à 1911. Réélu questeur en 1918, il meurt quelques mois plus tard.
5Bonnefoy-Sibour, Jacques-Marcel (1851-1921), fonctionnaire. Il fut préfet de Segré (Maine-et-Loire) de 1877 à 1879.
6Jean-Baptiste Lemanceau, régisseur du domaine des Falloux.
