CECI n'est pas EXECUTE 29 mars 1864

Année 1864 |

29 mars 1864

Théophile Foisset à Alfred de Falloux

Dijon, le mardi saint 1864

Monsieur, je reçois le trésor des trésors, et vite je le poste pour vous remercier. J'ai lu votre préface1 avec avidité. Elle est resplendissante de lumière, pleine d'élévation, d'éloquence, de clairvoyance et de courage.

Je souligne ce passage : « d'autres, ne voulaient humilier l’Église et la faire glisser sans trop de bruit, de l'humiliation à l'asservissement… que peut-on trouver à redire à une Église garrottée mais bien dotée qui n'aurait plus de souverain étranger et dont les ministres n’auraient ni plus de souci ni plus d'ombrage que les fonctionnaires civils ?"

C'est bien cela. Combien de gens rêvent pour l’Église de France la momification de l’Église russe !

Vous avez trois pages de la plus saisissante vérité sur cette singulière épidémie d'unité : unité italienne, allemande, slave : les mots d'ordre changent, mais l'homme ne change pas. L'homme est toujours le fils du péché originel : omnium servitium pro dominatore. Plus loin vous dites, excellemment : « les catholiques sont ceux vis-à-vis desquels on se permet le plus puisqu'on sait d'avance qu'ils sont ceux qui se plaignent le moins » comme c'est vrai ! Mais il faut admettre une circonstance atténuante : c'est qu'ils sont aussi de tous les opprimés, ceux qui peuvent le moins compter sur l'appui de la presse et de la pression tapageuse du public. Leur journal a tout fait pour les rendre impopulaire et il n'y a que trop réussi.

Puis les agneaux seront toujours des agneaux comme les loups seront toujours des loups. Et c'est quand on a vécu au milieu des loups qu'on ne peut s'empêcher d'être, Monsieur, « douloureusement convaincu que la presse religieuse, aussitôt qu'elle atteint une certaine intensité, en gagne un certain développement, devient sagesse, quelque forme ou quelque nom qu'elle empreinte."

Il me semble enfin que vous avez été mieux inspiré que jamais sur la personne du père Lacordaire. J'ai surtout remarqué cette parole : " il se raconte lui-même sans embarras comme sans exagération ; il n'y met pas plus de modestie que s'il s'agissait d'un autre, parce qu'il n'y coûte pas plus de plaisir et ni sens que plus du péril"

 

Cette correspondance inaugure à merveille par l'acte d'adhésion de l’abbé Lacordaire à l'encyclique de 1832. Peut-être diminue-t-elle d'intérêt vers la fin. Sorrèze2 a trop absorbé notre illustre ami : c'était une œuvre très belle et très grande, mais trop submergée de détails. A Dieu ! Monsieur nous sommes dans une semaine où surabondent les graves pensées. Je voudrais être à Paris pour prendre une part entière de celle qui préoccupe entre tous mes amis du Correspondant. Je ne suis pas de ceux qui se laissent abattre mais de ceux qui disent avec les psalmistes : Quare tristis es anima mea et quare conturbas me ? Spera in Deo, quóniam adhuc confitébor illi3.

C'est dans ce sentiment, monsieur que je suis à vous plus profondément et plus inviolablement que jamais.

Foisset

 

 

1Falloux venait de publier, Correspondance du R. P. Lacordaire et de Mme Swetchine (Didier, Paris, 1864).

2En 1854, le P. Lacordaire avait pris la direction du célèbre collège de Sorrèze auquel il se consacra jusqu’à sa mort.

3Pourquoi es-tu triste, mon âme ? et pourquoi me troubles-tu ? Espère en Dieu, car je Le louerai encore.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «29 mars 1864», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1864,mis à jour le : 19/10/2021