CECI n'est pas EXECUTE 14 avril 1870

Année 1870 |

14 avril 1870

Théophile Foisset à Alfred de Falloux

Dijon, le Jeudi saint 1870

Monsieur,

Je suis tout heureux de l'assurance que vous voulez bien me donner que vous avez trouvé nos amis moins profondément découragés que je ne l'avais craint. La situation, paraît plutôt s'aggraver que ce détendre si j'en juge le ton de la lettre de l'archevêque de Baltimore1 à l'évêque d'Orléans2 : ces aigreurs d'accent, de la part d’un américain m'a bien péniblement surpris. J'ai une lettre de Mgr Dupanloup du 23 mars où je lis ces mots : « je ne puis vous donner aucune nouvelle de ce qui se passe ici ; les oreilles sont sourdes". J'en ai eu une autre d'Albert Duboys3 est qui est à Rome aussi, et qui est plus récente ; il n'a d'espoir que dans un miracle du Saint Esprit, à la dernière heure.

Pour moi, je m'en tiens aux lois ordinaires de la probabilité humaine et je regarde comme certaine la proclamation du dogme. Reste à savoir en quels termes il sera défini : cela n'est pas indifférent. J’ai la confiance que ces termes seront mûrement pesés et je sais d’une science surnaturelle que l’assistance du Saint-Esprit ne fera pas défaut à l’Église assemblée. Credo in Spiritum sanctum. La définition aura cet avantage qu’on saura mieux qu’auparavant en quels cas la parole du Pape est infaillible. Très certainement le Concile n’admettra pas une infaillibilité personnelle et séparée. Il ne nous imposera pas comme article de foi que Pie IX était infaillible dans l’allocution qu’il a prononcée à l’ouverture de l’exposition romaine. Il reconnaîtra (au moins implicitement) que le Pape est homme. Mais, quand il parle comme organe de la tradition catholique et qu’en cette qualité il enseigne au monde entier ce que croit l’Église en matière de dogme ou de morale, la Providence divine l’assiste de telle sorte qu’elle ne permet point qu’il puisse enseigner l’erreur. Ce n’est pas là de l’infaillibilité personnelle ni de l’infaillibilité séparée. Il y aura toujours des idolâtres, qui raisonneront comme si le Pape était Dieu et comme si J-C. n’était que son vicaire. Mais il ne sera permis de ne tenir aucun compte de leur fanatisme. Nous aurons une définition catégorique, s’il plaît à Dieu, et nous nous y tiendrons : sur ce terrain nous serons invincibles, quoi qu’ils disent, mais à une condition, c’est que nous accepterons intérieurement la doctrine définie par le Concile. Le côté humain de l’Église est en ce moment extrêmement visible ; mais il ne doit pas nous voiler le côté divin.

Quant à mon livre4, je le crois en effet utile et instructif. J’espère tout à fait qu’il ne sera pas mis à l’Index, quelles que puissent être les décisions du Concile, et c’est quelque chose. Nul suffrage au monde ne m’est plus précieux que le vôtre. Vous y mettrez une réserve : c’est que je n’ai pas en regard de l’injustice première des légitimistes envers le Père [Lacordaire|, assez mis en lumière « les amis, le concours, l’appui que le même parti légitimiste n’a cessé de lui donner dans toutes les circonstances décisives de l’œuvre dominicaine » Vous avouerai-je, Monsieur, que cet appui a tout à fait échappé à mes regards ? Si j’excepte M. de Melun et vous, puis Mgr de la Bouilleri5, j’ignore absolument ce qui a été fait en faveur du Père de la part des légitimistes. En province, ils sont presque tous prévenus contre lui à un degré d’exagération inconcevable pour moi, qui suis légitimiste de naissance et d’éducation et qui n’ai jamais rompu avec mes frères de lait. Vous avez sans doute à m’opposer des faits contraires ; je ne demande pas mieux que de les connaître et de les mettre en lumière dans une prochaine édition. Ce sera pour moi un très grand plaisir.

A vous profondément

Foisset

 

 

1Spalding, Martin John (1810-1872), évêque de Louisville, il fut nommé archevêque de Baltimore en 1864. Il était un fervent partisan de infaillibilité pontificale.

2Mgr Dupanloup.

3Boÿs Albert du (1804-1889), magistrat et historien. Nommé conseiller auditeur à la Cour en juin 1825, il avait démissionné au lendemain de la révolution de Juillet après avoir refusé de prêter serment à Louis-Philippe. Collaborateur du Correspondant, il se consacra dés lors à d'importants travaux historiques, à des études de législation criminelle et de philosophie du droit. Il s'était retiré dans son château de La Combe de Lancey, en Isère, où son ami Mgr Dupanloup venait régulièrement lui rendre visite.

4Foisset s’apprêtait à publier Vie du R. P. Lacordaire, Paris, Douniol.

5Marie Joseph Roullet de La Bouillerie, baron (1822-1894), homme politique. Élu du Maine-et-Loire en 1871, il siégeait à l'extrême droite et fit partie de la réunion des Réservoirs. Il sera ministre de l'Agriculture et du commerce dans le premier gouvernement d'A. de Broglie du 25 mai 1873 au 25 novembre 1873. Il votera pour le ministère Broglie le 16 mai 1874, contre l'amendement Wallon et contre les lois constitutionnelles. Il ne se représentera pas par la suite.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «14 avril 1870», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1870,mis à jour le : 15/11/2021