CECI n'est pas EXECUTE 30 aout 1868

Année 1868 |

30 aout 1868

Alfred de Falloux à Charles de Montalembert

Bourg d’Iré, 30 août 1868

Bien cher ami,

Je n’ai pas besoin de vous dire tout l’effroi qui s’est emparé de moi au premier mot dans les journaux de votre affreux accident1. J’ai fait courir en grande hâte au télégraphe et il m’a valu un premier bulletin rassurant de Fontaine2. Vous voyez donc que votre souvenir ne s’est pas adressé à un indifférent, et vous en étiez bien sûr d’avance. Aussi, je supprime toute parole d’émotion pour vous ou pour moi et je veux m’occuper que de mes remerciements. Je les adresse à Dieu d’abord, et il y a bien des années que je n’avais dit un Te Deum d’un si grand cœur ; je les adresse à vous ensuite, car c’est vraiment un bien beau trait de votre part que de m’avoir envoyé votre souvenir direct, lorsque vous aviez si bien le droit de ne songer qu’à vos souffrances. La nature de vos contusions m’a dit que vous êtes tombés en avant, et cela seul en effet pourrait préserver vos pauvres reins. Mais quel chagrin pour vous que la mort de ce vieux cochet ! Que d’angoisse pour Madame de Montalembert3 qui elle-même avait déjà été victime d’un accident semblable ! Veuillez bien lui dire que mon cœur s’est exactement partagé entre elle et vous, et c’est pourquoi je ne lui avais pas écrit dès hier, je ne la supposais guère moins atteinte que vous-même, et les forces que son courage pouvait garder devaient vous appartenir tout entières. Veuillez dire aussi à Mademoiselle Madeleine4 et à Mademoiselle Thérèse5 que je les embrasse même sans leur permission, tant je suis peu maître de l’effusion de ma reconnaissance. Ce que je vous demande à tous maintenant, c’est de faire adresser, durant quelques jours, un bulletin à la rue du Bac6: nous enverrions tous puiser là les uns et les autres, et nous vous laisserions tranquilles sans demeurer pour cela dans l’angoisse qui accompagne toujours l’incertitude. Lanjuinais7 était venu de Nantes faire une visite ; il a ouvert les journaux avec moi il m’a bien chargé de vous exprimer ses très vifs sentiments. Pour moi, cher ami, je ne vous dis plus rien. En voilà bien assez pour aujourd’hui, et je vous rappelle que vous devez placer parmi vos meilleures actions le petit billet qui vient de me faire tant de bien.

Falloux

 

 

1Charles de Montalembert venait d’avoir un accident de calèche.

2André Fontaine, secrétaire de Falloux.

3Marie-Anne Henriette dite Anna de Montalembert, née de Mérode (1818-1904), épouse de Charles de Montalembert avec qui elle s'était mariée en 1836.

4Madeleine de Montalembert (1849-1930), troisième fille des Montalembert. Elle épousera le comte Hemricourt de Grünne.

5Thérèse de Montalembert (1857-1924), fille cadette de Montalembert.

6101, rue du Bac, adresse parisienne de Falloux.

7Victor-Ambroise Lanjuinais, vicomte (1802-1869), homme politique. Second fils du célèbre conventionnel, il débuta sa carrière comme avocat puis entra dans la magistrature en 1830. Destitué en 1831 en raison de ses opinions libérales, il combattit le socialisme et se fit le porte-parole du Laisser-faire. Député de 1837 à 1848 (collège de Nantes extra-muros) puis député de la Loire Inférieure sous la Seconde République. En 1844, il acheta, avec son ami Tocqueville et de Corcelle, le journal Le Courrier où il traitait les questions économiques et maritimes. Ministre de l'Agriculture dans le second cabinet Barrot du 2 juin au 31 octobre 1849, puis ministre de l’Instruction Publique par intérim (remplacement de Falloux). Il protesta contre le coup d'État et fut détenu quelque temps à Vincennes. Il défendit le pouvoir temporel du pape. Il fut élu député du tiers parti en 1863 pour la Loire Inférieure.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «30 aout 1868», correspondance-falloux [En ligne], BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Année 1852-1870, Second Empire, CORRESPONDANCES, Année 1868,mis à jour le : 05/01/2022