CECI n'est pas EXECUTE Mai 1855

Année 1855 |

Mai 1855

Louis-Edouard Pie à Alfred de Falloux

Mai 1855

Monsieur le vicomte,

Hélas ! Monsieur le vicomte, où allons-nous ? Les avances quotidiennes faites par quelques-uns des nôtres au parti rationaliste me désespèrent. Pénétrer partout, dit-on ; donner la main à tous ; occuper tous les terrains ; se mêler à tous les camps. Je vois bien ce que nous portons aux ennemis de Dieu et de tout l’ordre surnaturel. Je ne vois pas ce que nous gagnons sur eux. Je vois bien qu’ils font trophée de nous ; je n’ai pas encore aperçu la première bribe des dépouilles conquises sur eux. Entrer, comme Judith dans la tante d’Holopherne1 avec l’espérance de l’immoler, c’est une entreprise qui demande une inspiration et une mission dont je ne reconnais pas les signes dans ceux qui s’y aventurent en ce moment. D’ailleurs le géant n’est pas gorgé de vin et endormi ; il est fort, et avisé on ne sortira pas avec honneur de ses dangereuses étreintes.

Laissez-moi donc, Monsieur le vicomte, vous complimenter avec sincérité de votre vie de retrait, de vos soins et de vos succès en agriculture, de vos triomphes du comice : ce sont les meilleurs palmes du moment : elles ne sont décernées par aucun de vos anciens adversaires, devenus de si dangereux alliés.

Pardonnez, Monsieur le vicomte, cette irruption peut-être téméraire sur un terrain où j’ai peu coutume de descendre. Vous n’avez été mêlé à rien du passé ; Dieu vous tient en réserve pour l’avenir. C’est mal entreprendre de poser un terme aux effets de 1848 que de retourner vers les causes de 1848. J’ai lu tout Cousin, tout Simon, tout Foisset, les rapports Guizot, Villemain. Je lis les Débats, l’Assemblée nationale, l’Union, l’Ami de la religion , la Gazette de l’instruction publique, le Correspondant et la Revue des deux mondes, j’ai écouté Monsieur de Salvandy parlant à Mgr d’Orléans et à Monsieur Berryer : nous sommes des dupes, et il faut se tenir à l’écart et attendre. C’est l’humble avis de votre respectueux et très dévoué serviteur.

Louis-François évêque de Poitiers (Mgr Pie)

 

1Pour sauver son peuple attaqué par les Assyriens, elle décide d'assassiner leur chef, le général Holopherne. Au cours d'un festin, la belle le séduit et le suit dans sa tente, puis profite de son sommeil pour le décapiter


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «Mai 1855», correspondance-falloux [En ligne], Année 1852-1870, Second Empire, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1855,mis à jour le : 22/11/2022