CECI n'est pas EXECUTE 22 septembre 1857

Année 1857 |

22 septembre 1857

Mathieu-Richard Henrion à Alfred de Falloux

Aix, 22 septembre 1857

Monsieur le Comte,

Permettez-moi de me rappeler à votre souvenir, à l’occasion d’un bien triste évènement. C’est chez Mme la comtesse Swetchine que j’ai eu l’honneur de vous connaître ; (pendant vingt-neuf ans), elle a eu pour moi la plus affectueuse bienveillance ; et j’ai le cœur déchiré à la nouvelle de sa mort1. Mon ami, M. Yermoloff2 qui m’avait présenté avant 1830 à cette femme d’élite encore plus grande par le cœur que par l’esprit, m’annonce qu’elle s’est éteinte paisiblement le jeudi 10 vers cinq heures du matin, et que, le vendredi précédent, elle m’ait été administré. Il ajoute que vous ne l’avez pas quittée. Quelle consolation pour vous, Monsieur le Comte ! Mais quel bonheur pour tous les amis de Mme Swetchine, et pour moi en particulier, si aux soins pieux dont vous avez environné cette noble femme au lit de mort, vous ajoutiez le soin, non moins pieux, de retracer sa vie si belle dans une courte biographie que publierait le Correspondant par exemple ! Je n’ai pas eu l’honneur de vous voir depuis 1848, époque à laquelle je suis parti pour les Antilles, d’où Dieu m’a ramené il y a six ans en France, pour me fixer à Aix, en qualité de Conseiller à la Cour ; dans cet intervalle de neuf ans, j’ai suivi avec une sympathique admiration tous vos pas dans la carrière que vous avez glorieusement parcouru ; à côté de l’écrivain au talent si élevé et à l’esprit si droit, j’ai vu l’homme d’État au cœur si français ; en ce moment, je ne vois que le catholique, et je lui demande, dans l’intérêt de la religion, d’écrire la vie de l’amie du comte de Maistre3, de la présenter comme un argument décisif à nos frères encore séparés ; que l’exemple de sa conversion peut déterminer à se réunir à vous, et de l’offrir comme un modèle à la société chrétienne dont Mme Swetchine a été l’ornement. L’histoire du salon de cette femme distinguée, où j’ai vu se presser et se succéder tant de personnages célèbres à des titres divers, vous fournira de remarquables aperçus (cette vie), écrit par vous, Monsieur le Comte, a dans ma pensée, une portée très grande (publiée prochainement comme un hommage de l’amitié à une sainte et illustre mémoire), elle deviendra la pierre d’attente même d’un ouvrage plein d’intérêt, c’est à dire du Recueil des Lettres de Mme Swetchine, que ses amis doivent s’imposer le devoir de réunir, parce qu’à travers la variété, la mobilité même, de ses appréciations sur les hommes ou sur les choses, sa correspondance la montrera toujours ferme sur les grands principes, toujours spirituelles, toujours bonne jusqu’à l’extrême indulgence. Le génie du comte de Maistre reposait sur son esprit et le fécondait souvent ; mais son esprit, quels qu’en fussent les éclairs, le cédait à son cœur dont vous nous direz les merveilleuses richesses.

Agréez Monsieur le Comte, l’hommage de mon respectueux et ancien dévouement.

Bon Henrion4

1Sophie Swetchine était morte le 10 septembre 1857.

2Sans doute Michel Yermoloff (1794-1870).

3Maistre, Joseph de (1753-1821), philosophe. Savoyard, il était sujet du roi de Piémont-Sardaigne. Magistrat au Sénat de Savoie comme son père, il quitta la Savoie à l'arrivée des troupes françaises en septembre 1792 et se réfugia en Piémont puis en Suisse. Il publia, en 1797, son premier ouvrage Les considérations sur la France. Rentré en Italie en 1799, il fut chargé par le roi de Sardaigne de le représenter auprès du tsar. Il resta en poste à Saint-Pétersbourg jusqu'en 1817. Revenu en Italie, il mourut à Turin. Auteur de plusieurs ouvrages, Essai sur le principe générateur des constitutions politiques (1814), Du Pape (1819) et Les Soirées de Saint-Pétersbourg (ouvrage publié en 1821 peu après sa mort), De Maistre, comme De Bonald, refusa tout compromis avec les principes nouveaux issus de la révolution. Mme Swetchine et Joseph de Maistre avaient lié connaissance en Russie.

4Mathieu Richard Auguste Henrion (1805-1862), baron, juriste et historien du droit français. Il fut magistrat à Paris et Conseiller à la Cour d'Aix-en-Provence.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «22 septembre 1857», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1857,mis à jour le : 21/07/2022