CECI n'est pas EXECUTE 16 novembre 1858

Année 1858 |

16 novembre 1858

Ferdinand d'Eckstein à Alfred de Falloux

Paris, 19 rue Oudinot, chez les Frères de St Jean de Dieu, 16 novembre [1858]

Monsieur le comte,

Je rentre et trouve une lettre qui parle d’un sujet à la foie sublime et douloureux, d’une grande âme chrétienne1 qui a fait preuve de son intelligence et de son tact si fier en vous choisissant pour exécuteur de ces derniers désirs en vous léguant tout le trésor de ses souvenirs.

Quant à l’objet de votre lettre, voici comment je crois pouvoir y correspondre. Il est vrai que j’ai eu plus d’une fois de ses lettres mais je n’ai jamais été avec elle en correspondance suivie. J’ai eu le bonheur de la connaître en 1827 et depuis cet instant jusqu’à celui de sa mort toujours mon esprit s’est intéressé à ses pensées, et mon cœur s’est toujours attaché à ses paroles. Ce qui m’a le plus frappé dans sa conversation c’était de voir l’âme travailler en elle, de sorte qu’elle ne disait rien pour simplement parler, mais que tout ce qu’elle disait sortait du fond même de ses entrailles. De là une sorte d’effort chez elle pour la production de la parole était un intérêt de plus laborieux enfantement d’une âme sublime dont les mots étaient des œuvres et les œuvres des pensées.

J’ai eu à plusieurs reprises et parfois après d’assez longues interruptions, de très longues et curieuses conversations avec cet esprit si ferme, si généreux et si équitable en toutes choses. Religion, politique, histoire, philosophie étaient les grandes matières de sa pensée, où elle aspirait constamment à une plus grande élévation d’idées et de sentiments comme à une plus grande clarté et netteté d’expression et d’esprit. Il me faudra recueillir tous mes souvenirs, les dégager de ce qui m’est particulier et les concentrer sur elle seule pour présenter un tableau de ces conversations, où j’ai eu toujours à apprendre, toujours à gagner en rectitude de jugement et en impartialité d’esprit. Je désire savoir, Monsieur le comte, quel espace de temps vous pouvez me laisser pour une besogne qui veut être traitée avec une sorte de religion, pour que Madame Swetchine revive ainsi seule dans ma pensée et y revive tout entière. Je rechercherais les quelques lettres que je dois encore avoir de sa main ; il m’est malheureusement arrivé plus d’une fois dans mes voyages et déménagements de perdre plus d’une correspondance précieuse à plus d’un titre. Ce sera un devoir et un honneur pour moi dorénavant de correspondre à vos désirs.

Ne viendrez-vous pas bientôt à Paris Monsieur le comte ? Et si vous y arriviez bientôt pourrai-je être assez heureux pour vous y rencontrer ?

Veuillez agréer, Monsieur le comte, l’expression d’une très vieille admiration vivement sentie depuis longtemps pour un noble cœur, un esprit ferme et élevé qui a fait ses preuves dans de grandes crises, pour un homme qui se dessinera avec fierté sur la scène politique d’un siècle trop souvent dégradé par la chute des âmes en lesquelles on avait commencé par placer ses espérances.

Baron d’Eckstein2

 

2Eckstein, Ferdinand, baron d’ (1790-1861), philosophe et auteur dramatique danois, orientaliste, il fut aussi sous la Monarchie de Juillet, le principal représentant du mouvement de la renaissance orientale à Paris.


 


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «16 novembre 1858», correspondance-falloux [En ligne], Année 1852-1870, Second Empire, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1858,mis à jour le : 22/07/2022