CECI n'est pas EXECUTE 18 décembre 1859

Année 1859 |

18 décembre 1859

Joseph-Hippolyte Guibert à Alfred de Falloux

Tours, le 18 décembre 1859

Monsieur le comte,

Je voulais, en vous remerciant de l’envoi de votre livre1 sur Madame Swetchine, pouvoir vous dire toutes mes impressions ; mais il faudrait renvoyer trop loin l’hommage de ma reconnaissance, si je voulais attendre d’avoir achevé la lecture au milieu de tant d’autres occupations qui se disputent mon temps. J’ai lu assez, d’ailleurs, pour me faire une idée de la personne et de l’œuvre. Je suis enchanté de l’une et de l’autre. On sait avec le plus vif intérêt le travail de la grâce dans cette âme, que Dieu a ramené à la vérité par une voix qui n’est pas la voie commune pour les femmes surtout. Il faut beaucoup d’énergie dans le caractère, une grande intelligence pour entreprendre sur un plan aussi étendu l’examen de la question religieuse. Dieu l’a béni de courage et l’a récompensé par de vives et d’abondantes lumières.

C’est une heureuse pensée, Monsieur le comte, d’avoir reconstruit la vie de cette femme si distinguée, avec les fragments de ses écrits, de ses lettres et de celles de ses amis, en mordant au travail, fort délicat du reste, de mettre du ciment entre les joints des pierres. Cette forme donne à l’œuvre une vie, un mouvement qui rend les choses présentes et qui fait que l’on quitte toujours le livre à regret.

En conservant cette mémoire à la postérité, vous avez cru peut-être ne remplir qu’un devoir d’amitié et de reconnaissance ; vous avez rendu un service aux âmes appelées à vivre dans le monde. Elles trouveront dans la vie de Madame Swetchine de bons exemples pour les diverses situations de la société. Un autre écrivain de grand renom a aussi célébré plusieurs femmes du XVIIe siècle. Mais là tout est mondain : il y a peu de choses qu’on puisse imiter et un grand nombre qu’on doit éviter. C’est un thème qui semble n’avoir été choisi que pour faire briller le talent de l’écrivain. Il était bon de placer à côté de ces œuvres un peu légères pour un philosophe et où domine une teinte beaucoup trop sensuelle, l’histoire d’une vie plus sérieusement chrétienne et où l’édification peut se satisfaire aussi bien que le goût et la délicatesse des gens du monde.

Je regrette vivement les difficultés survenus dans la direction de l’Ami2. Ce journal a bien pris, malgré, peut-être faudrait-il dire, à cause de quelques imprudences qu’il devra éviter à l’avenir. Il commençait à prendre une place importante dans la presse quotidienne. Cette feuille dirigée avec un peu de modération et de sagesse, mais conservant toute son indépendance, peut devenir le véritable remède au mal de la situation religieuse. J’espère que ces malentendus (il ne saurait y avoir autre chose) cesseront et que l’œuvre vivra. Le plus difficile est fait. Je ne doute pas, puisque vous êtes à Paris ou tout près, que votre intervention ne parvienne à écarter les nuages qui ont pu s’élever contre ces messieurs de la rédaction.

Agréez, je vous prie, Monsieur le comte, avec mes bien sincères remerciements, l’assurance de mes sentiments les plus respectueux dont j’offre aussi l’hommage à Madame la comtesse.

J. Hipp. [Guibert] Archevêque de Tours

1Il s'agit du livre que venait de publier Falloux, Madame Swetchine, sa vie, ses œuvres, Paris, A. Vaton, 1860, 2 vol.

2L’Ami de la Religion. Périodique catholique français, d'inspiration conservatrice et gallicane (1814-1848), il fut repris en main par Mgr Dupanloup en 1848 qui en fit l’organe du catholicisme libéral (1848-1862).


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «18 décembre 1859», correspondance-falloux [En ligne], Année 1859, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Année 1852-1870, Second Empire,mis à jour le : 29/07/2022