CECI n'est pas EXECUTE 5 mai 1865

Année 1865 |

5 mai 1865

Sigismond de Lévis-Mirepoix

Paris, le 5 mai, St Pie V [1865]1

Mon bien cher ami, j’ai différé de quelques jours pour vous répondre parce que je sais que votre lettre s’est croisée avec une lettre qui vous a été adressée par le Cte Benoist d’Azy2, et par conséquent vous êtes parfaitement renseignés sur l’état de l’affaire qui nous occupe en ce moment, à laquelle mieux que moi vous avez donné une très humble impulsion. Vous avez acheté ce qui manquait à votre collègue, de l’oreille pour la faire réussir, le feu sacré toujours utile dans les grandes comme dans les petites choses de ce monde. Bref nous somme en très bonne voie, puisque nous avons atteint le chiffre de 102 000 Fr. dont 19 actionnaires à 5000 Fr. ; je vous donnerai les noms à la quatrième page de cette lettre, sans sortir du cercle nous avons désiré rester parce que nous ne pensons pas maintenant que nous ne puissions arrêter de compléter. Dés aujourd’hui MM. de Noailles et Benoît d’Azy auxquels on m’adjoint, vont se mettre en rapport avec M. Berryer, pour faire le traité qui est le but de notre petite société qui est restée purement civile, et je ne manquerai pas de vous informer de ce qui aura été conclu. Vous pourriez encore à ce sujet nous rendre un service, en usant de votre haute influence qui m’a valu un si bon accueil dans le beau château de la Potherie3 pour entraîner la comtesse de La Rochefoucauld4 parmi nos souscripteurs ; elle en a les moyens, et je la crois très bien pensante suivant le langage du même faubourg Saint-Germain. Le comte Benoist m’a dit vous avoir envoyé un exemplaire de notre projet de société que nous allons être appelé tous bientôt à signer.

Voilà sur cette affaire ; je passe maintenant à celles qui agitent le monde, si admirablement traitées avant-hier par notre ami Monsieur Thiers, qui a eu incontestablement un des plus beaux succès de la vie parlementaire5 ; il n’avait pas besoin d’encouragement je le savais, et le désir qu’il avait de se faire écouter à tout prix sur les grands événements qui menacent l’empire, malgré sa fatigue présente qui est extrême. Hier soir, nous sommes allés le complimenter au milieu d’un grand concours de monde, moins les Metternich6 qui y étaient les plus appelés ce me semble ; je lui ai fait vos commissions auxquelles il a paru très sensible, en lui répétant ce mot de la Gazette de France d’hier soir qu’il avait bien mérité de la Société universelle, ce qui exprime si bien la pensée de tous. Il est entré jusqu’au vif dans le cœur de la Chambre, qui l’a applaudi unanimement, le gouvernement lui-même que son langage atteignait si profondément, avec un art merveilleux, n’a pu extérieurement lui refuser sa part d’applaudissements. Il paraissait patriotiquement heureux de ce succès, quoique fatigué ayant passé la nuit à corriger ses épreuves, jusqu’à six heures du matin, ce qui lui a donné beaucoup plus de peine ayant presque improvisé sa harangue, m’a-t-il dit, qu’il avait préparé toute autre. Il ne pouvait pas mieux faire en tout cas. L’effet en sera considérable en Europe, mais cela n’arrêtera rien au point où en sont les choses, c’est l’avis de tout le monde ; cependant cela pourra encore éclairer les petits Princes allemands qui hésitent, et fortifier chez nous, l’impopularité de l’alliance prussienne. Le pauvre Berryer était touchant en complémentant son illustre émule, jouissant de son succès comme du sien propre, et cependant à qui appartenait-il plus qu’à lui de défendre la sainte religion du droit7. Hélas, combien nous sentons davantage chaque jour la nécessité qu’un des nôtres vienne prendre la place laissée vide par son grand âge ! Vous savez à qui je m’adresse. Monsieur de Montalembert vient d’être repris de ses crises de douleurs d’il y a dix ans ; il est mieux cette semaine, mais je crains qu’il ne soit obligé de renoncer au nouveau monde. Son beau-frère Monsieur de Mérode a voulu repartir pour Rome avec la fièvre contre vents et marées ce qui inquiète sa famille. Voilà les nouvelles de Paris auxquelles j’ajouterai celles qui pourront survenir dans la journée en fermant ma lettre au club.

Il ne me reste plus qu’à vous dire les meilleurs et plus dévoués sentiments du ménage qui éprouve une grande sympathie pour le vôtre, nous pensons sur le Bourg d’Iré, comme l’exprime si bien Mme Swetchine à la duchesse de La Rochefoucauld8; nous offrons âge et souvenirs les plus affectueux à Madame votre belle-mère est à Madame de Falloux. Gaston9 qui est tout à fait bien, vous remercie de penser encore à Paris. Tout à vous avec tous mon cœur.

S. de Lévis Mirepoix10

 

1C’est le 13 et 15 avril 1865 que Thiers prononça un discours remarqué sur la question romaine. Adversaire déterminé de l’unité italienne, il avait vivement critiqué la politique du gouvernement et préconisé l’alliance avec l’Autriche.

2Benoist d'Azy, Denys, comte (1796-1880).

3Château de La Potherie (à Challain, en Maine-et-Loire), propriété de Louise Ida Leroy de La Potherie (1806-1884), veuve d’Albert La Rochefoucauld-Bayers.

4Voir ci-dessus.

5Voir note supra.

6Sans doute Richard Klemens (1829-1895) von Meternick, diplomate, fils du célèbre diplomate et son épouse Pauline (1836-1921), célèbre pour son salon parisien sous le Second Empire.

7Berryer étant avocat, il était à même de défendre le point de vue juridique sur cette question.

8Alexandrine-Charlotte de La Rochefoucauld née de Rohan-Chabot, dite Rosalie (1763-1839).

9Gaston de Lévis-Mirepoix (1844-1934), son fils.

10Sigismond de Lévis-Mirepoix (1821-1886)


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «5 mai 1865», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1865,mis à jour le : 04/08/2022