CECI n'est pas EXECUTE 21 mai 1866

Année 1866 |

21 mai 1866

Fr. Hyacinthe à Alfred de Falloux

Paris, ce 21 mai 1866

Monsieur le comte,

Voici bien des jours que je sentais le besoin de venir à vous, et de vous dire combien étaient doux et durables les souvenirs emportés du Bourg d’Iré. Cette trop courte journée est de celles qui marquent dans ma vie. Je ne saurais oublier le gracieux accueil que j’ai reçu de vous et de votre noble famille ; ni ces conversations plus intimes sur la situation présente, sur les besoins et les dangers de la cause religieuse où navigateur illustre, et trop tôt rentré dans le port, de ce port lui-même si tranquille et si beau, vous mettiez votre expérience au service de l’humble et jeune pilote appelé à naviguer sous les mêmes étoiles, bien que sur d’autres flots.

J’ai revu Monsieur de Montalembert, et je l’ai trouvé plus souffrant que je ne pensais1 : souffrant physiquement, maigri, d’un grand dégoût pour les aliments ; et souffrant moralement, triste et abattu. Il va mieux cependant depuis ces derniers jours, et j’ai su qu’il commence à sortir en voiture. S’il peut pousser ces promenades jusqu’à Conflans, la conversation de sa fille bien-aimée2 sera pour lui un remède des plus efficaces en même temps que des plus doux.

Je n’ai pas encore vu Monsieur de Rességuier, mes premiers instants de liberté seront pour lui ; et cette visite aura d’autant plus de charme que venant après une assez longue séparation, elle sera encore animée par nos souvenirs et j’allais presque dire par nos affections communes du Bourg d’Iré.

Vous souvenez-vous du sermon que je devais prêcher à Montmorency, le 21 mai, pour les Polonais ?

Moi, je n’ai pas oublié les renseignements si intéressants, et les vues si justes et si élevées que vous vouliez bien me communiquer au sujet de leur cause et de son rapport avec la Russie. J’ai travaillé dans ce sens depuis que nous nous sommes quittés, et j’étais arrivé à un résultat dont j’étais satisfait. Eh bien, nous sommes au 21, et au lieu d’être à Montmorency, je suis à Paris d’où je vous écris ces lignes. Avant-hier soir j’ai appris que Mgr l’évêque de Versailles3 s’opposait à ma prédication. Le service funèbre a eu lieu ce matin, et pour la première fois le silence a régné autour de la tombe des exilés. Tout cela est triste, et surtout fort petit, et c’est par d’autres côtés qu’il faut regarder la sainte Église pour la voir telle que l’Esprit de Dieu l’a faite et la fait chaque jour.

Quant à la politique humaine, mes Polonais m’en ont distrait depuis bien des jours et je ne saurais trop vous dire où elle en est. Je crois pourtant que nous sommes à la guerre. Mais elle est si grave, cette guerre, que ceux qui la veulent, n’en voudraient pas la responsabilité. Du reste, la situation des esprits et des choses, surtout au point de vue religieux, est telle qu’il y faut peut-être ce remède héroïque.

Veuillez présenter mes hommages les plus respectueux à Madame de Falloux, à Madame de Caradeuc et à Mademoiselle de Falloux qui me permettra de lui demander un petit souvenir à la prière du soir. Et vous, Monsieur le comte, veuillez croire mes sentiments de respectueuse sympathie, dans lesquels je demeure en N. S. votre très humble et dévoué serviteur.

Fr. Hyacinthe de l’Imm. Conc.

1Montalembert est alors atteint de la maladie de la pierre.

2Catherine de Montalembert (1841-1926); elle avait fait ses vœux au couvent de Conflans en 1863.

3Mgr Mabile, Jean-Pierre (1800-1877), évêque du diocèse de Saint-Claude dans le Jura depuis 1851, il avait été nommé évêque de Versailles en 1858.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «21 mai 1866», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1866,mis à jour le : 25/08/2022