CECI n'est pas EXECUTE 14 décembre 1872

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14 décembre 1872

A. Jardry à Alfred de Falloux

14 décembre 1872

Monsieur le comte

Par le même courrier qui vous portera une lettre, j’ai l’honneur de vous envoyer le numéro du Figaro du 15 décembre qui contient les deux premiers alinéas de ma petite note. Je regrette qu’on l’ait si impitoyablement raccourcie, car la partie volontairement omise avait, je crois, son importance. Mais, en réfléchissant à tout ce qui arrive au Figaro, je m’explique aisément que la collaboration y soit très avare de son terrain.

C’est la première fois qu’on m’imprime ; c’est un encouragement qui peut-être me rendra moins timide à l’avenir.

Permettez-moi, en attendant, que je fasse un nouvel enfantement, de vous envoyer ma note dans sa teneur complète, vous y verrez que, selon nos humbles moyens j’ai essayé de payer ma dette à toutes les bonnes heures que Madame Swetchine m’a souvent fait passer.

« Un fait tout d’actualité pour l’édification des citoyens capitalistes radicaux qui ne savent ni expier leur richesse ni fonder une œuvre capable de soulager. La fameuse Quatrième couche sociale, dont ils pleurent si éloquemment et à si grand bruit l’abandon et l’infortune.

«  A Segré, petite ville de l’Anjou, prospère et s’agrandit chaque jour une Maison de retraite de vieillards, admirablement située ; dominant le coteau qui s’élève sur la rive droite de l’Oudon, à l’emplacement même qu’y occupait autrefois le château. Entourée de vastes jardins, d’ombrages séculaires, les vieillards y jouissent de l’air le plus salubre, d’une vue aussi étendue que pittoresque et vivent là dans le calme qu’on recherche à leur âge, au milieu des soins pieux et dévoués des excellentes sœurs de Saint-Joseph.

« Le généreux fondateur de ce délicieux séjour qui fait tant d’heureux, c’est un royaliste sincère qui toujours a su aimer son pays pour son pays, le bien pour le bien et le pauvre qui souffre pour lui-même. Ce royaliste c’est M. le comte de Falloux, oui, c’est lui qui a su élever ce charmant abri à la misère de ses propres deniers, joints au produit des cent mille volumes des œuvres qu’il a publiés de Madame Swetchine, cette femme étrangère d’origine mais si profondément française par le cœur et que M. Ste Beuve1 n’a pas craint d’appeler « la fille aînée de M. de Maistre2 et la fille cadette de Saint-Augustin »

En ce moment, une édition définitive de ces œuvres remarquables à tant de titres, ornées du portrait de Madame Swetchine, paraît chez Didier, 25 quai des Augustins.

Par ce temps si favorable au débordement des livres licencieux, peu instructifs et généralement pauvres d’idées, nous ne saurions trop recommander aux Amis de la littérature chrétienne cette nouvelle publication qui contient plusieurs documents inédits du plus haut intérêt et que M. de Falloux s’est efforcé de rendre à la fois plus complète et plus accessible en raison des succès précédents qui de jour en jour rendent plus populaires, et son illustre amie et l’Hospice qui porte désormais son nom comme un témoignage vivant de sa bienfaisante mémoire.

Veuillez agréer, Monsieur le comte, l’hommage bien respectueux de notre attachement le plus dévoué.

 

A. Jardry

 

P.S. Je vais aller voir mon beau-frère, si j’apprends quelque chose relativement à l’article de M. Janin, je vous l’écrirai sur le champ. Sinon ce sera probablement mardi seulement.

1Sainte-Beuve, Charles-Augustin (1804-1869), poète, romancier et critique littéraire. Auteur prolifique, célèbre pour ses Causeries du Lundi et ses Nouveaux Lundis, véritable monument de critique littéraire, familier du salon de la princesse Mathilde, membre de l'Académie depuis 1844, il y était le chef du parti gouvernemental et anticlérical.

2Maistre, Joseph de (1753-1821), philosophe. Savoyard, il était sujet du roi de Piémont-Sardaigne. Magistrat au Sénat de Savoie comme son père, il quitta la Savoie à l'arrivée des troupes françaises en septembre 1792 et se réfugia en Piémont puis en Suisse. Il publia, en 1797, son premier ouvrage Les considérations sur la France. Rentré en Italie en 1799, il fut chargé par le roi de Sardaigne de le représenter auprès du tsar. Il resta en poste à Saint-Pétersbourg jusqu'en 1817. Revenu en Italie, il mourut à Turin. Auteur de plusieurs ouvrages, Essai sur le principe générateur des constitutions politiques (1814), Du Pape (1819) et Les Soirées de Saint-Pétersbourg (ouvrage publié en 1821 peu après sa mort), De Maistre, comme De Bonald, refusa tout compromis avec les principes nouveaux issus de la révolution. Mme Swetchine et Joseph de Maistre avaient lié connaissance en Russie.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «14 décembre 1872», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1872,mis à jour le : 20/10/2022