CECI n'est pas EXECUTE 13 janvier 1873

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13 janvier 1873

Alfred de Falloux à Ernest de La Rochette

iAngers, 13 janvier 1872 (réponse à la lettre de La Rochette)

Mon cher ami,

Pardonnez-moi si je n’ai pu m’empêcher de sourire en voyant l’ardeur avec laquelle vous me sommez d’entrer dans la politique au grand jour, moi qui n’ai cessé de parler à la tribune que pour écrire dans la presse, vous qui avez presque toujours professé, pratiqué l’abstention et reproché l’action publique à ceux qui s’en rendaient coupables, y compris Berryer. Néanmoins je serais désolé que vous me crussiez insensible à votre aiguillon, et je vous assure que si je ne vous ai pas répondu complètement sur vos propres idées, c’est que je ne croyais pas que vous me fissiez l’honneur de m’interroger à leur sujet.

Suis-je pour vous ou contre vous ? Ni l’un ni l’autre, je suis pour la monarchie légitime et représentative contre l’absolutisme et je vous laisse vous faire vous-même votre part et celle de nos amis sur ce chapitre.

Suis-je pour ou contre le duc d’Aumale, je suis contre, s’il veut prolonger la république sous le même titre que Monsieur Thiers et par les mêmes moyens ; je suis pour si, avec un titre monarchique, il veut mener franchement et résolument la France de la république à la monarchie, alternative que je ne suis pas en mesure de trancher à cette heure-ci, puisque je n’ai jamais eu l’honneur de lui parler et de voir clair dans sa pensée.

Quelles sont les idées vraies et les idées fausses de la révolution ? Ceci demanderait un volume que je n’ai pas la force d’entreprendre. Cependant je m’en suis expliqué à diverses reprises, notamment dans le discours sur la révision que vous avez entendue en 1851, et dans une grosse brochure que vous avez pu lire dans le Correspondant et que vous y retrouveriez encore, si vous jugez que cela valut la peine.

Suis-je d’avis que l’Assemblée décide du drapeau et pose les bases élémentaires d’une constitution, c’est-à-dire la royauté héréditaire, les deux chambres et la responsabilité ministérielle ?

Hélas ! Cette question ne m’encourage pas beaucoup à m’expliquer devant vous, car c’est précisément cela que je vous ai demandé durant trois heures la semaine dernière. Enfin, recommençons par écrit, puisque vous trouvez que les paroles ne suffisent point. Je crois qu’il y a dans la situation actuelle un cercle vicieux et dont on ne peut sortir que par l’initiative et l’intervention de l’Assemblée. Monsieur le comte de Chambord ne peut pas accepter, en principe et d’avance toute constitution qu’on voudrait lui opposer; la France, de son côté, n’acceptera pas Monsieur le comte de Chambord sans aucune ombre de garantie et en dehors du concours de tout homme politique connu ; nous périrons jusqu’au dernier d’entre nous, si personne ne veut sortir de là, et je considère comme un moyen de conciliation très praticable et très désirable, l’Assemblée votant, avec le principe monarchique, les trois ou quatre points fondamentaux sur lesquels tout le monde est absolument d’accord, réservant ensuite aux trois pouvoirs réunis l’achèvement régulier d’une constitution définitive.

Si Monsieur le comte de Chambord refuse cela, que ferez-vous ?

Ici, mon cher ami, je vous trouve, à votre tour, tout à fait irrespectueux envers Monsieur le comte de Chambord. Vous supposez un cas d’insanité d’esprit que je refuse absolument d’admettre et de discuter. Je vous supplie d’y réfléchir beaucoup et de bien vous rendre compte de la portée du rôle que vous attribueriez à un prince dont la France doit attendre son salut et non sa ruine.

Si, après cela, vous me trouvez encore dans les nuages, soyez sûr que c’est bien à mon insu, et que je serais toujours prêt à m’expliquer avec autant de franchise envers vous que de reconnaissance pour la part trop grande que vous me faites, beaucoup plus grande, soyez-en sûr, que je ne me la fais à moi-même.

Bien à vous de tout cœur.

Falloux


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «13 janvier 1873», correspondance-falloux [En ligne], CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Troisième République, 1873,mis à jour le : 26/10/2022