CECI n'est pas EXECUTE 6 juillet 1874

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6 juillet 1874

Julien Houssaye à Alfred de Falloux

Paris 6 juillet 1874

Monsieur le Comte,

Voici le simple et rapide exposé de la négociation que vous connaissez et dont j’attends encore l’issue.

En même temps que je prévenais M. de Gaillard de la nécessité pour le Correspondant, de dégager sa responsabilité, je voyais les prêtres Valroger1 et Lacquet, de l’Oratoire, et j’en obtenais la rédaction d’une note jugée par eux nécessaire. Mgr d’Orléans auquel je m’empressai de la communiquer, m’y fit faire une petite modification qui la rendait plus sévère encore et me chargea de dire à M. de Gaillard que cette affaire était très grave. En rentrant, je trouvais une lettre que je vous envoie confidentiellement, Monsieur le comte, et qui vous prouvera que tout le monde ne se plaçait pas au même point de vue que vous pour apprécier mes devoirs.

Sur ces entrefaites, la poste m’apporte vos encouragements, je fus voir M. de Gaillard et voyant qu’il était impossible d’obtenir l’insertion de la note, je me rabattais à lui proposer une lettre que le père Lacquet lui écrirait pour signaler quelques-unes des erreurs de M. Lenormant2. Il accepta avec plaisir cette ouverture, et dès le surlendemain, je lui envoyais le cours travail du père Lacquet. Trois jours après je me rendis rue des Saints-Pères. M. de Gaillard me parut attacher peu d’importance à ce débat, et je fus obligé d’insister de nouveau sur la gravité des questions soulevées et des solutions proposées par M. Lenormant. Je rappelais alors le mot de Mgr d’Orléans. À cet argument M. de Gaillard me répartit que Mgr d’Orléans n’avait pas lu l’article (ce qui était vrai, mais je lui en avais donné le résumé fidèle) et que M. Lagrange et M. Guthlin3 étaient d’avis qu’on faisait beaucoup de bruit pour peu de choses.

Je rentrai chez moi un peu étonné, lorsqu’on me remit le billet suivant « Viroflay 31 juillet, Mon cher ami, qu’avez-vous fait au Correspondant pour l’article de Monsieur Lenormant ? Je reçois sur ce point de l’université de Louvain des observations très graves. Tout à vous bien affectueusement.

F. Ev d’Orléans ».

Le soir même M. de Gaillard avait communication de ce billet. Depuis lors je ne sais rien, et je crains que le père Lacquet n’ait pas encore reçu communication de l’épreuve.

Il serait, en outre, très urgent, que d’une manière générale, on dit une fois pour toutes que chacun des auteurs qui écrivent dans le Correspondant, répondent seuls des opinions émises dans leurs articles. Le P. Valroger insiste beaucoup sur ce point et m’a autorisé à vous dire, Monsieur le comte, qu’il regarde cette note comme absolument nécessaire, si l’on ne veut pas éloigner de notre revue les ecclésiastiques sérieux et dévoués mais qui ne peuvent accepter la perspective de paraître complice de théories qu’ils réprouvent.

En ce qui concerne l’incident Lenormant, je ne sais donc encore quelle en sera l’issue, et j’attends avec impatience le prochain numéro du Correspondant.

Je ne puis croire qu’il ne renfermît pas la lettre du père Lacquet. S’il en était ainsi, la position deviendrait bien grave pour moi.

Sans doute, Monsieur le comte, M. de Gaillard a été des plus bienveillants ; il n’a pas hésité à me dire qu’il me donnait communication des articles où des questions théologiques seraient soutenues. Mais je suis convaincu qu’il le fait plus par égard que par conviction. Or, ce matin je parlais encore de ces sujets avec le père de Valroger, qui est tout dévoué au Correspondant ; mais qui me faisait remarquer de quelle importance il est pour la revue, dans leurs propres intérêts et dans ceux de l’Église, de ne pas laisser passer des articles qui puissent être très légitimement attaqués. Il me disait à ce propos le travail de M. Delaunay sur les Sibylles4 ; travail qui renferme des appréciations tellement rationalistes que le père Valroger a été obligé de remettre en selle, et dont les expressions <trois mots illisibles> désarçonné par cette lecture. Il ne doute pas que si l’Univers, La revue des jésuites, D. Guéranger, voulaient s’emparer des articles de M. Delaunay et de M. Lenormant, ils ne puissent faire contre nous une campagne d’autant plus redoutable, qu’ils auraient pour eux la théologie et la raison. Mais M. de Gaillard traite ces questions de canonicité, d’authenticité des Ecritures, de subtilités !

Vous voyez mon embarras, Monsieur le comte. Pour en sortir, il faudrait que je puisse avoir communication des articles avant qu’ils ne paraissent. Je vous assure en mon âme et conscience que je le demande uniquement pour être utile, et ensuite pour sauvegarder ma responsabilité. Ainsi que

je crois vous l’avoir déjà écrit, ce n’est pas moi qui jugerai, je consulterai. À l’Oratoire, à Saint-Sulpice, on ne me refuse aucun avis. Ce sont ceux d’amis du Correspondant, d’amis éclairés, désintéressés, dévoués. Après quoi, si la question semble mériter plus ample examen, rien de plus simple que de convoquer le comité de rédaction. Mais quant à rester simple spectateur, je ne pourrai l’accepter.

Vous me pardonnerez, Monsieur le comte, une si longue lettre ; mais je crains qu’on ne sache pas assez à quel point le Correspondant est surveillé et à laquelle singulière <mot illisible> le condamne non seulement son devoir, mais son intérêt. Je pars demain pour Vimer5 où il sera bien souvent parlé de vous. Nous ne vous oublieront pas dans la pieuse chapelle du château, Monsieur le comte, et nous y demanderons à Dieu d’augmenter vos forces et de vous rendre à l’Église et au pays.

Veuillez agréer, Monsieur le comte, l’expression du profond respect avec lequel je suis Votre bien humble et tout dévoué serviteur.

M. Houssay

J’ai cru plus convenable de ne pas user de votre lettre. Je vous serais reconnaissant Monsieur le comte, de garder pour vous seul ce que je vous dis de M. de Gaillard.

1Valroger, Hyacinthe, P. de (1801-1878), oratorien, théologien érudit.

2Lenormant François, (1837-1883), archéologue et écrivain français. Associé aux travaux archéologiques de son père, Charles L., il devint un numismate et un archéologue précoce et collabora également au Correspondant. Il effectuait effectivement un voyage en Italie.

3Guthlin, Joseph (1850-1917), ordonné prêtre en 1871, devenu professeur d'apologétique au Grand Séminaire de Strasbourg (1871), il part en 1878 à Rome pour y faire des études en droit canonique. Docteur en droit canon il devint conseiller de Léon XIII.

4Fernand Delaunay, Moines et sibylles dans l'antiquité judéo-grecque, Didier et Cie, Paris, 1874.

 

5Propriété de la famille de Mackau à laquelle Falloux est liée. Elle est située sur la commune de Guerquesalles, dans l'Orne.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «6 juillet 1874», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1874,mis à jour le : 04/11/2022