CECI n'est pas EXECUTE 16 décembre 1874

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16 décembre 1874

François Lagrange à Alfred de Falloux

Viroflay, 16 décembre 1874

Monsieur le comte,

J’ai reçu la réponse de Mgr Freppel à la communication que je lui ai faite, relativement à votre prétendue opposition à sa candidature. Il n’aime pas dit-il traiter avec ses diocésains par intermédiaire. Il répète néanmoins que j’ai fait erreur, et que ce qui l’a « révolté » c’est que l’élection faite, l’Union de l’Ouest, votre organe habituel, ce soit permis de demander pendant huit jours, avec une insistance qui lui a fort déplu, le nom du personnage que M. de la Bouillerie1 avait proposé au comité conservateur. Il affirme que, quant à lui, il avait été le premier à repousser la candidature qui lui avait été proposée.

Mais je laisse cet incident. Ce qui me préoccupe bien plus, c’est de savoir où est Monsieur Bourquard2, car l’Univers annonce qu’il est absent. Ne serait-il pas sur le chemin de Rome ? En tout cas, ma crainte est que l’on ne travaille de manière forte active à obtenir de Rome un pendant à la lettre de Mgr Nocella3, et que ce ne soit la cette réponse qu’on vous réserve. Si vous saviez à quel degré je les ai trouvé montés à Rome contre les catholiques libéraux, cause manifeste de tout le mal ! Il me semble que le meilleur moyen de parer le coup, ce serait d’écrire à M. de Corcelles une lettre, dans laquelle vous parleriez très haut, et feriez rapporter, comme il convient, l’indignité d’un pareil procédé. C’est déjà trop qu’une lettre de Mgr Nocella à l’abbé Jules Morel ; un bref à l’abbé Bourquard dépasserait toute mesure. Non pas à cause de la valeur théologique de ces sortes de documents ; mais à cause de l’effet déplorable qu’une pareille intervention dans ces polémiques déloyales et haineuses ferait sur l’opinion publique en France. Pourquoi M. de Corcelles est-il à Rome ? Est-ce assez, quand une lettre Nocella parait, de dire, comme il me l’a dit «  Je ne la connais pas ! » il la connaissait bien ! Est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux faire, avec la mesure et la fermeté nécessaire, une démarche préventive ? Je vous livre ces pensées.

Au reste, bien que Mgr l’évêque d’Orléans, tout entier plongé dans la loi sur la liberté de l’enseignement supérieur, ne veuille pas s’en distraire, et n’ait pas lu encore les trois Étoiles, je le presse autant que je peux à faire de son côté une démarche analogue à celle que je prends la respectueuse liberté de vous suggérer. J’espère qu’il le fera.

La négociation dont je vous parlais avait pour but d’obtenir quelques lignes de l’archevêque de Paris qui, je le savais, est indigné de ces attaques contre son suffragant.

Il a en effet écrit à Mgr l’évêque d’Orléans une lettre excellente sur la lettre à Minghetti4. Il consentirait volontiers à ce que cette lettre fut publiée. Mais Mgr l’évêque d’Orléans ne la publiera pas.

Je me demande, cher et vénéré Monsieur le comte, si toutes ces polémiques, je parle aussi de celle avec les hommes de l’Univers, ne fatiguerait pas une santé aussi éprouvée que la vôtre. Je veux espérer qu’il en est de vous comme de l’évêque d’Orléans : la lutte le réconforte.

Veuillez agréer, Monsieur le comte, l’hommage de mes plus fidèles et dévoués respects.

F. Lagrange

1Marie Joseph Roullet de La Bouillerie, baron (1822-1894), homme politique. Élu du Maine-et-Loire en 1871, il siégeait à l'extrême droite et fit partie de la réunion des Réservoirs. Il sera ministre de l'Agriculture et du commerce dans le premier gouvernement d'A. de Broglie du 25 mai 1873 au 25 novembre 1873. Il votera pour le ministère Broglie le 16 mai 1874, contre l'amendement Wallon et contre les lois constitutionnelles. Il ne se représentera pas par la suite.

2Laurent Casimir Bourquard ( 1820- 1900). ordonné prêtre en 1843, il devint professeur de philosophie à Besançon avant d'obtenir la chaire de philosophie à l'Université catholique d'Angers, dés son ouverture, en 1879. C'était u proche de Mgr Freppel qui le nomma chanoine d'Angers.

3Carlo Nocella (1826-1908), prélat italien. Ordonné prêtre en 1849, il exerça diverses fonctions dont le professorat à Rome avant d'être nommé secrétaire de la S. Congrégation Consistoriale (1892-1899), puis patriarche titulaire d'Antioche en (1899-1901) et Patriarche de Constantinople de 1901 à sa mort. Il fut créé cardinal lors du consistoire du 22 juin 1903.

4Allusion à la Lettre de 91 pages que Mgr Dupanloup avait écrit à Minghetti alors ministre des Finances de Victor-Emmanuel II dans laquelle l’évêque protestait contre la spoliation de l’Église à Rome et en Italie, Sur la Spoliation de l’Église à Rome et en Italie.

Marco Minghetti (1818-1886), homme d’état italien. L'un des artisans majeurs du Risorgimento aux côtés de Cavour, dont il fut le collaborateur et l'ami. Patriote italien, à l'avènement de Pie IX (1846), qui ne manque pas de susciter des l'espoir de voir le « pape libéral » prendre la tête de la croisade nationale et libérale, Minghetti devient ministre des Travaux publics dans le premier gouvernement laïc des États de l'Église. Les hésitations du souverain pontife à soutenir la révolution italienne, puis son désaveu, l’amène à se tourner vers le Piémont. Il correspond avec Cavour, devenu Premier ministre de Victor-Emmanuel II, en 1852, pour l'informer de la situation politique en Italie centrale et il coopère à la Société nationale italienne, fondée par La Farina en 1856 pour rallier les modérés à la solution piémontaise. En 1859, lors de la guerre contre l'Autriche, il se fait naturaliser sarde et devient secrétaire général du ministère des Affaires étrangères. Directeur des Affaires italiennes, il seconde Cavour dans l'action qui aboutit à l'acquisition de la Lombardie, puis, en 1860, des Romagnes, des duchés de l'Italie centrale et du royaume de Naples. Élu député de Bologne au Parlement de Turin, ministre de l'Intérieur du nouveau royaume d'Italie, il est associé aux tractations avec le Saint-Siège. Après la mort de Cavour, il continue à siéger dans les cabinets Ricasoli (1861-1862), puis Farini (1862-1863), auquel il succède comme Premier ministre. Il démissionne en 1864. Revenu aux affaires (1867-1869), Minghetti fut envoyé comme ministre à Vienne en 1870. En 1873, Minghetti redevint président du Conseil au milieu de graves difficultés économiques. Mais, le 18 mars 1876 , il sera renversé par une « révolte parlementaire ». Minghetti demeura jusqu'à sa mort, à Rome, le porte-parole d'une droite qui, expression de la bourgeoisie modérée, avait fait l'unité politique du pays.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «16 décembre 1874», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1874,mis à jour le : 11/11/2022