1878 |
28 mars 1878
Adolphe Le Flô à Alfred de Falloux
La Nec’Hoat, près Morlaix1, 28 mars 1878
Mon cher comte,
Je n’ai reçu qu’hier, en Bretagne où m’a rappelé la mort de mon enfant, la lettre si affectueuse et si touchante que vous avez eu la bonté de m’adresser en Russie2. Aucun témoignage de sympathie ne pourrait être plus précieux que le vôtre, et je vous remercie du fond de mon cœur brisé de me l’avoir donné. Je suis bien malheureux ; on ne saurait l’être davantage. J’avais deux fils, la joie, l’espérance et l’honneur de ma vie ; je les ai perdus tous les deux, à douze ans de distance jour pour jour. Je ne m’étais jamais consolé de la mort du premier, celle du second me laisse en reste d’une existence bien sombre ; que la volonté de Dieu soit faite cependant, je m’y soumets avec humilité et je m’y résigne autant que je puis, mais au prix de combien de larmes et de douleurs ! Une grande consolation me reste dans mon malheur ; mais deux enfants sont morts chrétiennement comme deux saints pourrais-je dire, et je ne doute pas un instant que Dieu les a reçus dans sa miséricorde. Leur exemple m’aidera, j’espère, à mourir moi-même pieusement, et à vivre, en attendant, de manière à les retrouver un jour dans le monde meilleur où nous aspirons de toutes les forces de notre âme. Merci encore, mon cher comte, de votre bienveillance et sympathique compassion ; l’accueil si gracieux que vous aviez daigné me faire récemment au Bourg d’Iré m’avait laissé la plus douce impression, votre lettre m’a été au cœur.
Laissez-moi donc vous renouveler avec effusion l’assurance de mon respectueux attachement et de toute ma reconnaissance.
Le Flô
1Château de Nec’Hoat, propriété du général Le Flô, à Ploujean, près de Morlaix (Finistère).
2Le général est alors ambassadeur de France à Saint-Pétersbourg, poste qu’il occupât de 1871 à 1879.
