CECI n'est pas EXECUTE 6 novembre 1878

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6 novembre 1878

Adrien de Lévis-Mirepoix A Alfred de Falloux

Orléans, le 6 novembre 1878

Monsieur,

Je venais de quitter Montigny lorsque mon père1 a reçu la lettre, que vous lui avez fait écrire malgré vos souffrances. J’ai donc reçu ici la bienveillante expression de votre éloge pour ma très modeste lettre, écrite dans l’impression douloureuse de la mort du grand évêque2, qui a dominé mon existence pendant une longue suite d’années.

Je n’avais pas revendiqué les honneurs de la publicité pour ce cri du cœur échappé à la vivacité de mes regrets et qui je puis le dire, avait presque un caractère d’intimité.

Quoiqu’il en soit, cela m’aura au moins procuré la bonne fortune d’obtenir de vous un précieux titre de sympathie en même temps qu’un nouveau témoignage d’intérêt, auquel vous m’avez habitué depuis votre gracieuse hospitalité au Bourg d’Iré.

Désireux de répondre à la très affectueuse explication de votre lettre au Correspondant3 que vous m’avez fait l’honneur de m’adresser, je dissiperai tout d’abord une confusion, en vous expliquant que ce n’est pas moi, mais bien mon frère aîné qui siégeait au bureau du congrès de Chartres4.

Ceci posé, j’ajouterai qu’il m’est cependant arrivé d’assister dans d’autres localités, à des réunions analogues, de sorte que je puis en parler avec connaissance de cause.

Je n’hésite pas à dire que je suis loin d’adopter toutes les exagérations qui s’y risquent ; encore plus loin d’appuyer les indépendances de langage qui s’y débitent, avec une autorité dogmatique qui m’étonne souvent sans me surprendre. Mais j’ai une certaine tolérance pour les excès du <mot illisible> de même que je suis obligé d’en avoir pour le mal. Cependant, je dois avouer que l’indulgence m’est naturellement plus facile pour les premiers que pour les seconds.

Je regarde ces messieurs du congrès catholique, non pas comme le gros de l’armée des conservateurs mais comme les troupes d’avant-garde.

Ce sont les tirailleurs algériens, les zouaves de la situation. Troupe hardie, généreuse, pleine d’entrain quoique, de temps en temps compromettante !!

Tout pour l’attaque, rien pour la retraite. Tout pour l’offensive rien pour la tactique ! Avec une armée qui n’aurait d’autres feux que ces légers bataillons ont compromettrait bien des succès…

Mais sagement mis à profit ils ont leur utilité dans l’ensemble des opérations. Il ne faut pas faire fi de la Furia… elle a son histoire. Elle retrouvera peut-être sa place à certains moments spéciaux et bien déterminés.

C’est vous dire, Monsieur, la place que j’assigne aux Zelanti religieux et politiques, dans l’armée des conservateurs. Je leur accorde la sainteté Sanctissimus, je veux bien la science Doctissimus, mais à aucun degré la pudeur et la politique Prudentissimus, comme vous le faites très bien remarquer dans votre réponse sur la contre-révolution.

Vous le voyez, malgré les qualités éminentes que je reconnais aux fanatiques de nos bonnes et saintes cause, je ne suis pas éloigné des idées que vous défendez dans l’affectueuse explication (je répète le mot) que vous m’avez fait transmettre par mon père.

Je suis de ceux qui ne croient pas à l’absolu, excepté pour les vérités éternelles. Inébranlable sur la thèse, au point de vue religieux de la question, j’incline vers la tolérance dans l’application des principes, j’admets les tempéraments de l’hypothèse en raison des circonstances.

De même que s’il n’a jamais à transiger avec la loi essentiellement immuable, le légiste, peut néanmoins, sans faillir, être modéré jusqu’à la bienveillance dans l’interprétation de la jurisprudence. Vous ne verrez donc plus en moi un intransigeant, dans le sens élevé du mot, mais un esprit conciliant qui voudrait voir plus de cohésion entre les différents éléments d’une même cause, d’autant plus que ces éléments ne me semblent pas aussi désagrégés qu’on voudrait le faire paraître.

Nous en avons eu la triste preuve aux funérailles triomphales de Mgr Dupanloup, où toutes les opinions étaient représentées depuis Alexandre Dumas5 jusqu’à Mgr Pie.

L’union des conservateurs catholiques sans distinction de parti, voila quand à présent le rêve de ma très modeste politique. Peut-être l’illusion… autrement dit, je n’ai pas de principe en politique, je n’ai que de la conscience. Nous n’avons pas trop de toutes les forces réunies des conservateurs pour faire face au péril social comme vous nous en donnez si souvent vous-même un grand et glorieux exemple.

Excusez-moi, Monsieur, de la longueur de cette lettre. J’aurais dû me borner à mon commencement c’est-à-dire à vous remercier de votre bienveillance à mon égard sans me laisser aller à cette inutile digression. C’est en voulant trop qu’Icard est retombé dans l’abîme. Puissé-je n’avoir pas fait la même chute à vos yeux ?

Veuillez agréer, Monsieur l’expression de ma haute et respectueuse considération.

Adrien de Lévis Mirepoix

1Sigismond de Lévis-Mirepoix (1821-1886).

2Mgr Dupanloup, décédé le 11 octobre 1878.

3Falloux venait de publier une brochure intitulée De la Contre-révolution (Douniol, et Cie, 19 pages). Publiée dans un premier temps dans le Correspondant du 25 octobre 1878, la brochure s'en prenait avec vigueur au comte A. de Mun mettant en garde les catholiques contre les risques d'une lutte de la religion placée sous la bannière équivoque de la contre-révolution à laquelle les conviait A. de Mun.

4C’est au Congrés de Chartres, le 8 septembre 1878, qu’A. de Mun avait prononcé le discours que Falloux s’était prononcé de condamner dans le Correspondant.

5Alexandre Dumas fils (1824-1895), auteur dramatique et romancier. Il sera élu à l’Académie française le 29 janvier 1874.


 


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «6 novembre 1878», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1878,mis à jour le : 24/11/2022