CECI n'est pas EXECUTE 2 juin 1880

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2 juin 1880

Xavier Dufresne à Alfred de Falloux

 

Genève, Grande Rue 39, Ce 2 juin 1880

Monsieur,

Votre discours de jeudi dernier1 n’a pas seulement trouvé de l’écho à Paris et en France, il en a trouvé juste à l’étranger et il me sera permis de vous l’écrire. La hauteur du point de vue auquel vous vous êtes placé et l’habileté insinuante avec laquelle vous avez traité votre sujet contribueront également à faire disparaître les malheureuses divisions des catholiques et à leur gagner les esprits dans la lutte capitale qu’ils ont à soutenir. Cette réunion du 27 mai restera je l’espère comme une date. Il y a longtemps que j’aspirais, Monsieur, à vous voir rentrer en scène et plus d’une fois l’année dernière j’en avais exprimé le désir lors de mon séjour à Paris. Mon grand-père m’a trop élevé au milieu du récit des luttes de 1845 et de 1850, pour que les voix qui se font entendre aujourd’hui aient le pouvoir de me faire oublier le charme des voix du passé. Pourquoi les catholiques n’ont-il pas toujours parlé avec cette maturité de raison et cette sagesse fille de l’expérience. Tel est le genre que le pape Léon XIII désire voir adopter partout dans notre polémique et si j’ai un regret, c’est que son nom pacificateur n’ait pas été prononcé l’autre soir : mais peut-être la prudence exigeait-elle cette réserve.

Je ne sais, Monsieur, si quelque chose est venue vous apporter la nouvelle que j’ai obtenu ce printemps à Rome. L’autorisation de devenir prêtre malgré mon infirmité. C’est le 29 de ce mois que je serais ordonné et le 30 que je célébrerais ma première messe dans une des chapelles où nous sommes réfugiés depuis que nous avons été chassés de nos églises.

Je suis revenu d’Italie entièrement conquis par la sagesse de Léon XIII. Il me semble voir en lui le pape le plus homme d’État que nous ayons eu depuis bien longtemps. Aucune des aspirations intellectuelles et sociales de notre siècle ne le trouve indifférent. Ce qui est triste, c’est que des protestants et des incrédules sont souvent plus promptes à le comprendre et à l’admirer que les catholiques eux-mêmes. Je ne sais si la providence accordera de grands succès matériels pendant son pontificat, mais il aura montré et suivi la seule voie que l’Église puisse suivre pour reconquérir la société. Insensiblement l’action de Léon XIII se fait sentir. Le pauvre cardinal Pie répétait au moment de Pâques à l’un de mes amis, il fallait bien reconnaître que la meilleure situation pour l’Église dans l’état actuel, c’était le droit commun. En causant avec le cardinal Bilio2 j’ai reçu les explications les plus larges sur le Syllabus.

Daignez agréer, Monsieur, l’hommage de mon plus profond respect.

R.P. Xavier Dufresne

1Le 27 mai 1880, Falloux était venu à Paris où il avait prononcé, rue de Grenelle, un important discours dans lequel il faisait part de ses vives inquiétudes sur l'avenir de la religion catholique et fustigeait les menaces pesant sur l’Église.

2Luigi Maria Bilio (1826-1884), prélat italien. Créé cardinal par Pie IX en 1866, il était depuis 1874 Préfet de la Congrégation des indulgences et reliques


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «2 juin 1880», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1880,mis à jour le : 05/01/2023