1884 |
7 octobre 1884
Hilaire de Lacombe à Alfred de Falloux
Montmarin1, le 7 octobre 1884
Bien cher ami
Je vous ai envoyé il y a quelques jours un numéro du Journal du Loiret contenant quelques mots sur votre article. Je les ai écrits sans consulter le conseil de rédaction. Mais sur sa composition je ne pourrais aller plus loin, je ne dis pas dans l’éloge qui est sans réserve mais dans la mise en relief des parties saillantes et brûlantes.
Vous savez que Boucher2 est devenu directeur et l’un des propriétaires du journal. Je lui avais écrit, il y a quelques semaines, pour lui parler de la nécessité de vous rendre dans le Loiret toute justice et tout hommage. Il ne m’a pas répondu. J’ai alors pris la plume. Depuis la publication de mon article il m’a dit qu’il avait lui-même entrepris un travail sur le même sujet, et qu’avant de finir il avait voulu communiquer les impressions qu’il avait recueillies chez vos amis de Paris et même plus haut encore. Je l’ai engagé à faire paraître ce travail, et j’espère qu’il va le faire car je connais son dévouement pour vous.
Mon frère3 vous a sans doute écrit ce que lui en avait dit l’évêque de Clermont4. Je suis parti à croire que cette opinion est celle de beaucoup d’esprits en dehors des coteries officielles et fera son chemin. Il y a ici un jeune prêtre qui arrive des bains de mer où il s’est rencontré avec un curé de Paris et d’autres ecclésiastiques. Il me disait que votre article avait reçu dans ce milieu la plus complète approbation. Je voudrais bien savoir si les évêques vous ont écrit et lesquels.
L’abbé Lagrange, avant de m’écrire de Genève pour me signaler le livre de l’abbé Maynard5 et me demander quelle conduite pouvait être suivie et concertée. Je n’ai qu’entrevu le livre en question et j’éprouve un vraie répugnance à faire gagner sous à la librairie catholique du sieur Palmé par l’achat de cette saleté. Je ne suis donc que très imparfaitement instruit de ce que contient l’écrit de Monsieur Maynard. À première vue ne pas faire de polémique, ne pas prêter une apparence de vie à ce qui s’éteindra misérablement dans la boue, me paraîtrait le plus sage. Ce que je préférerais, ce serait que quelques évêques désirassent le livre à Rome. Il y a là un tel amas d’immondices, de tels outrages à l’épiscopat, de telles offenses envers les lois de l’Évangile et de l’Église que Rome mise en demeure, pourrait difficilement esquiver une réponse. Le bref à l’évêque de Périgueux6, dont la formule est si vague laisserait même les coudées plus franches pour une action nette. Est-ce que Mgr Place, Mgr Foulon7, Mgr Meignan8, Mgr Turinaz9, d’autres encore ne pourraient s’entendre à cet égard ?
H. de Lacombe
1Montmarin, propriété de la famille Marin de Montmarin, située sur la commune de Sargé-sur-Braye dans le Vendomois (Loir-et-Cher).
2Boucher Auguste (1837-1910), professeur et journaliste. Collaborateur du Journal du Loiret à partir de 1871, il était entré au Français et au Correspondant en 1875. Installé à Paris, il organisa le bureau de presse du comte de Paris. Peu après le décès de son épouse, il épousa, en 1877, la fille de Léon Lavedan.
4Mgr Boyer, Jean-Pierre (1829 -1896), évêque de Clermont (1879-1893) puis archevêque de Bourges de 1893 à sa mort.
5Récemment entré à L'Univers, l'abbé Maynard avait commencé une série d'articles très critiques sur la biographie de Mgr Dupanloup par l'abbé Lagrange qui seront repris dans son ouvrage Mgr Dupanloup et M. Lagrange son historien, Paris, Société générale de librairie catholique, 1884. Maynard Michel Ulysse (1814-1893), chanoine de Poitiers. Lié d'amitié avec Mgr Pie et les frères Veuillot, il était entré à la fin de l'année 1883 à L'Univers.
6Dabert, Nicolas-Joseph (1811-1901), évêque de Périgueux de 1863 à 1901.
7Foulon Joseph (1823-1893), évêque de Nancy en 1867, membre de la minorité au premier Concile du Vatican, il était alors archevêque de Besançon.
8Mgr Meignan Guillame-René (1817-1896), prélat, il venait, le 25 mars, d'être nommé archevêque de Tours. Collaborateur du Correspondant, il avait fondé avec Cochin, les premiers cercles d’ouvriers du Boulevard Montparnasse. Membre du clergé de Paris, l'un des rares représentants en France au milieu du XIX d'une exégèse progressiste, très lié au groupe catholique libéral du Correspondant. Évêque de Châlons sur Marne en 1864 membre de la Minorité au Concile Vatican I, transféré à Arras en 1882, il succéda à Mgr Colet à l'archevêché de Tours en 1884. Cardinal en 1893, il fut l'un des rares évêques français de l'époque soucieux de relever le niveau scientifique du clergé. Voir H. Boissonnot, le cardinal Meignan, Paris, 1899.
9Mgr Turinaz, Charles, François (1838-1918), évêque de Moutiers-Tarentaise depuis 1873, il sera nommé évêque de Nancy le 23 mars 1882.