CECI n'est pas EXECUTE 26 janvier 1850

Année 1850 |

26 janvier 1850

Francisque de Corcelle à Alfred de Falloux

26 janvier 1850, Essai (Orne)

Mon cher ami,

Votre déclaration est excellente et je vous félicite de tout mon cœur. Je n’en dirais pas autant de l’article de notre ami Monsieur Cochin. Il me paraît irréfléchi, et très dangereux. Ce m’est un véritable regret de paraître, en de telles conjonctures, son collaborateur. Vous savez combien je goûte et son calme et son esprit ; j’ai pour lui une si parfaite amitié et tant d’estime que je suis bien sûr de ne pas manquer à ces profonds sentiments en vous disant, dans l’intimité, ce que je pense de l’attitude qu’il prend et de celle qui nous donne. S’il ne parlait que pour son compte, mon objection serait très affaiblie ; mais à chaque instant il dit nous. Ses réserves à l’égard des amis dont les jugements diffèrent des siens ne suffisent pas. Pour ce qui me concerne, j’aurais préféré qu’il me traitât simplement d’honnête dupe ou qu’il accusât une froideur pour sa chère cause italienne. L’éloge de <nom illisible>, de Monsieur D’Azeglio1 au moment où il vient de publier un réquisitoire brutal contre le Saint-Siège, est inconcevable.

Et puis que signifie ce n° 2 donné à la question de l’Église. Que penser aussi de cette non-intervention qui consisterait à laisser le pape2 tout seul vis-à-vis des bandits de la Romagne3 et à le contraindre ainsi de transiger avec eux ?

Rien n’est plus opposé à mes sentiments. Vous avez parfaitement gardé la mesure nécessaire sur les réserves vis-à-vis de l’un et l’inconvenance des récriminations.

À mon avis, notre ami l’a dépassée et il récrimine au-delà de ce qui était utile à notre cause. Dans la réunion où il a tenu la plume avec M. V. je ne le trouve pas non plus à sa place.

Je m’afflige de la peine que ce n° du Correspondant ne peut manquer d’apporter au souverain pontife opprimé. Tout ceci est pour vous seul. Je déteste plus que jamais la presse religieuse.

Quels tristes temps que ceux où des efforts communs entre des hommes que leur affection réciproque et de grands périls devraient unir sur tous les points sont pourtant si difficiles !

À vous de cœur. J’espère que Madame de Falloux a une vaillante santé. Veuillez me mettre à ses pieds avec les vœux et les hommages plus dévoués.

Fr Corcelle

Je suis un peu découragé de mon travail. Ne le trouvez-vous pas bien lourd !

 

Je décachette ma lettre qui n’était pas encore partie, pour vous dire que je viens de lire les admirables pages d’Albert de Broglie. La place qui leur a été donnée n’avait pas attiré d’abord mon attention et quand je vous ai confié ma peine je ne les avais pas lues.

Cette peine n’existe plus, je me réjouis avec vous. Voilà le Correspondant dignement représentée puisque on vous trouve avec de si éloquent défenseur de la papauté. Ne dites pas un mot à Monsieur Cochin de mon impression. Elle est effacée ; mais il n’en a pas le mérite. Je ne sais rien de plus froid, de plus contradictoire, et d’ambiguë que son écrit. Cela tient probablement à une illusion sur l’attitude libérale des Italiens et la possibilité de concilier un régime parlementaire avec la direction nécessaire du souverain pontife. Monsieur Cochin me disait dernièrement en parlant de Rome : « là, comme ailleurs,Il faut d’abord être libre, pour apprendre à l’être ». On peut lui répondre : « là comme ailleurs et plus qu’ailleurs, l’imprudence mène droit à l’anarchie à la démoralisation à la servitude. C’est le point juste qu’il s’agit de trouver. Le pape en est juge. Monsieur Cochin en convient lui-même, et en même temps il veut situation violente qu’il oblige à transiger avec des scélérats. C’est là ce que je lui reproche ce que vous n’auriez pas dû laisser passer.

 

 

1Massimo Taparelli, marquis d’Azeglio (1798-1866), homme politique et écrivain italien. Président du Conseil des ministres de Victor Emmanuel II de 1849 à 1852). Patriote libéral, il était favorable à la fois à une émancipation de l’Italie à l’égard de la domination autrichienne et à la mise en place d’un régime constitutionnel établi sur le modèle du libéralisme modéré. Désireux de sauvegarder les États du pape, il était néanmoins partisan d’une réforme en profondeur. des États pontificaux.

3La Romagne est alors le fief de Mazzini et des troupes de Garibaldi.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «26 janvier 1850», correspondance-falloux [En ligne], Années 1848-1851, Seconde République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1850,mis à jour le : 05/02/2023