Année 1853 |
19 janvier 1853
Francisque de Corcelle à Alfred de Falloux
19 janvier 1853, Essay (Orne)
Mon cher ami, au risque d’abuser de vos yeux qui je l’espère sont maintenant en meilleur état, je veux vous dire que mon neveu m’a quitté pour sa rue d’Anjou. Comme il est très attentif pour moi et très gentil dans ses correspondances, il n’a pas manquer de me faire connaître votre réponse à la demande de M. J. Cette information confidentielle venait d’un fort galant homme que nous goûtons beaucoup parce qu’il nous parle toujours de vous avec la plus charmante affection, M. de B. Je n’en avais nul besoin, il est inutile de vous le dire. Votre réponse est digne de vous ; mais elle ne pouvait me surprendre. Je compte sur vous comme dernier survivant de notre foi et de nos espérances si nous devons leur survivre.
Je ne savais rien et ne désirais rien savoir des circonstances qui ont amené la publication du factum où votre nom a été mêlé d’une façon si vulgaire et si sotte. Seulement, j’avais par hasard, sur ce personnage des renseignements certains et je voyais de l’utilité à vous le faire parvenir, puisqu’il pouvait avoir de l’influence sur le ton que vous aviez à prendre. Ne sachant pas ce qu’il valait, vous étiez exposé à trop de ménagements. Faites de même à mon égard si jamais je suis aux prises avec un J….
Il a spéculé sur l’ennui même et le dédain qu’il vous inspirait. Cela ne le mènera pas loin.
Ress[éguier]. m’a répondu comme je le désirais. Je l’aime de tout mon cœur. Entre autres charmes de sa lettre, il me fait espérer, pour le printemps, une partie en commun, vers le bien heureux Bourg d’Iré.
Barb[erey]1… me mande que les grands personnages croient toujours à un coup de tête plus ou moins prochain contre les traités de 1815. les formes de la reconnaissance ont vivement blessé notre maître. Quand on est ue Sire et cher ami on ressemble terriblement à un Sire révolutionnaire. L’intérieur alarme moins ; on croit que si l’agriculture et le commerce reprennent une certaine prospérité, 30 ou 40 millions gaspillés à satisfaire les gros appétits ne produiront pas grand effet. Mais tout cela repose sur un Si accompagné de plusieurs autres. En attendant, voilà deux princesses qui refusent d’être impératrices et la branche Jérôme reste sur l’horizon, ce qui n’est pas gai. On risque d’arriver trop tard ou de retourner pour la vingt-millième fois un bon mot, en écrivant à ses amis ceux qui circulent à défaut de presse et de tribune.
M. de Rostch. admirait beaucoup un tableau à l’exposition de ceux que fait vendre la duchesse d’Orléans. « Ah dit M. de Courmont. La force, Monsieur le baron, vous vendriez votre âme pour l’avoir ! Monsieur je ne vends pas mon âme mais si je la vendais ce ne serait pas pour 30 000 Fr. »
Et celui-ci d’un tout autre genre attribué à la vieille Mme de L.R. J. : « M. de Past2. est moins coupable que mon fils. Sa mère n’existait plus lorsqu’il s’est déshonoré.
M. Tocq[ueville]. qui était très impatienté, il y a quelque temps, de la fureur et quelquefois de l’ineptie des commérages de salon, croit cependant qu’à Paris, la période décroissante a visiblement commencé. Ici on s’en aperçoit peu.
Il est question de quelques efforts pour réparer le dernier accroc. Adieu, mon cher ami, veuillez, je vous prie de me mettre aux pieds de Madame de Falloux, agréer mes tendres vœux pour vous, pour tous les vôtres, et avec cela une foi dans cette amitié.
Fr C.
Deux académiciens se meurent. L’évêque d’Orléans3 est à peu près certains d’être élu.
1Maurice Bailly de Barberey (1818-1889), homme politique. Légitimiste, il demeure un fervent partisan du comte de Chambord qu’il rencontra à plusieurs reprises et dont il devint le correspondant politique pour la province de Champagne.
2Pastoret ? Amédée David, marquis de Pastoret (1791-1857), auditeur au Conseil d'Etat en 1809, il sera nommé sous-préfet de Corbeil (1813) puis de Chalon-sur-Saône (1814). Rallié aux Bourbons après la chute de Napoléon Ier, il réintègre le conseil d'Etat. Administrateur des biens en France du comte de Chambord depuis 1840, il était néanmoins favorable au gouvernement de Louis-Napoléon Bonaparte. L'Empire rétabli, il sera d'ailleurs nommé sénateur.