CECI n'est pas EXECUTE 19 novembre 1843

Année 1843 |

19 novembre 1843

Jules Morel à Alfred de Falloux

Angers, 19 novembre 1843

Mon cher ami, vous hagiographe, vous connaissez le grand ouvrage de Benoît XIV : De beatificatione venerabilium servorum déi et de  canonizatione beatorum1. Or les degrés d'amitié se forment comme les degrés de sainteté. En vous écrivant, je m'étais insinué, j'avais tenté de me faire déclarer vôtre : venerabilis servus. Vous ne trouvez pas dans votre réponse que j'ai assez osé, et vous me rangez parmi les heureux que vous admettez dans votre familiarité : beatus. Ma joie en égale ma reconnaissance ; mais mon ambition, faut-il le dire, surpasse encore ma reconnaissance et ma joie. Vous voyez à la manière dont je vous apelle [sic] au début, que je ne serai pas content avant d'avoir mérité d'être inscrit au nombre des amis : in albo sanetorum. Je sais bien hélas ! Qu'il faut deux miracles nouveaux, entre la béatification et la canalisation : or je ne désespère pas de la faire. Si Saint Pie V entend mes vœux et seconde des efforts, vous serez guéri et député. Il faut vous dire que j'implore son intercession sur tous les tons, et le plus souvent à la manière napolitaine, avec une grande familiarité et des invectives au besoin: comment ne rendrait-il pas la santé à celui qui l'a compromise à écrire sa vie ? Et qu'il ne mériterait pas qu'on s'exposa pour sa mémoire contre toutes les erreurs régnantes, puisqu'il abandonnerait ainsi son champion. D'autres fois je le prends par la douceur, je lui représente que s'il veut vous guérir, il aura une bien belle vie, comme celle de Sainte Élisabeth, (que nous chômons) qui a peut-être fait quelques jaloux dans le ciel, et surtout une introduction comme la sienne, décisive, dont il a pour le moins aussi grand besoin qu'elle de nos jours. Après tout, mon cher ami, c'est encore là, je crois, le meilleur côté pour avoir raison, de notre saint et puisque vous le voulez, je vais vous y aider de quelques réflexions.Votre chapitre de Marie Stuart2 a encore plus de grâce que les autres. Comme cette figure vous allait ! Le meilleur hakiste (?) n'eut pas atteint vos nuances. Ah !  que vous avez bien fait de corriger toute atteinte à la pudeur de Marie qui a toutes les raisons d'être pur : la foi catholique, l'amour de Saint Pie V et le retour, et la haine d'Élisabeth et de toutes l'hérésie et de tout le philosophisme. Ne lui donnez que des faiblesses d'esprit. Pauvre femme ! Louis XVI lui-même a-t-il eu des perplexités comparables ? Comment avez-vous manqué de dire que le jour de sa mort, elle s'était communiée d'une sainte hostie consacrée par Saint Pie V, et qu'il lui avait envoyée comme en-cas de viatique ? Moi, je l'ai lu dans la vie de Marie Stuart par le P. Caussin, jésuite, à la suite de son livre : La Cour Sainte ou etc3. Votre bataille de Lépante4 est digne de la fresque de la Sala Regia5. Mais pourquoi ne montrez-vous que la grande scène, et jamais les coulisses ? Un homme de mer de la valeur de Colonne6 s'est trouvé sous la main de Saint Pie V, et l'on ne saura pas où et comment il a commencé, et pourquoi il a gagné la confiance de son souverain ? Hélas ! Nous avons cependant tout cela des Augereau7, des Junot8, et le reste des lieutenants impériaux ! Et cet autre militaire que j'ai oublié, dont vous dites en phrase incidente qu'il avait exterminé les brigands dans les marches, est-ce qu'on ne pourrait pas obtenir quelques détails sur ce brigandage des états romains, et la manière dont un saint usait contre lui de l'excommunication, des missions, des sbires et des carabiniers ? Une seule fois on voit le pape travaillant avec son ministre des finances: comment ne sait-on pas le nom de son camerlingue ; des préfets de sa congrégation, comment n'aperçoit-on pas au moins le profil des grands cardinaux comme Montalte9 et Buoncompagno10 qui doivent lui succéder ? Et quels sont les rapports de Saint Pie V avec les ordres religieux, autres milieux du Saint-Siège qui doivent combattre d'autres batailles de Lépante ? Et l'ordre de Saint-Dominique, on n'en voit qu'un petit bout d'oreille à l'article de la mort, dans la personne du maître général. Et les jésuites ? Mais si le pape s'occupait de la Perse et de l'Abyssinie, il devait bien plus s'occuper de donner suite aux conquêtes de Saint-François Xavier, les Indes, la Chine et le Japon par le Portugal. Vous écrivez partout avec une pureté enchanteresse. Mais on sent presque partout une certaine pauvreté historique. Sous ce rapport vous écrivez classiquement, de même qu'Huster écrit romantiquement. Votre chapitre de la mort, admirable. Si vous ne le saviez, je vous apprendrai que le travail de modestie de Saint Pie V (qui doit nous faire frémir) était imité de Saint-Pierre d'Alcantara11 et a été limité par saint Alphonse de Liguory12, qui a recouvré connaissance tout exprès. Avez-vous bien raison d'entrer dans le pontificat de Grégoire XIII13 et de montrer comme il est petit à côté de Saint Pie V ? le lecteur est-il bien d'avis, de recommencer, si tôt, sans avoir le temps de pleurer sur la mort de celui-ci ? En tout cas devez vous y mettre un fini de détails, tel que l'arrivée de l'ambassadeur vénitien dans une villa de Jarcati (?), au lieu d'esquisser à grands traits? de même est-ce bien l'histoire de Saint Pie V, que de raconter par le plus menu des incertitudes du divan de Sélim14 pour attaquer l'Espagne ou le royaume de Chypre, avec les grandes raisons pour et contre de Piali15 et de Mustapha16, de Foy17 et de Chatam18, à remplir un moniteur anglais ? Il me semblerait que l'histoire des Turcs ne devient l'histoire de saint Pie V, qu'à l'arrivée de leur flotte devant Nicosie et Famagouste. L'échelle des plans, la proportion d'optique est peut-être la qualité n'est plus nécessaire et la plus difficile dans une histoire telle que la vie d'un Sain pape. Que de remerciements vous allez me faire pour mes conseils et surtout pour l'air de présomption avec lequel je vous les décerne ! Vous n'avez pas rien à me dire là-dessus que je ne sache déjà. Vous feriez bien mieux de me parler de votre santé, (c'est là qu'il faut des détails microscopiques), dont vous ne me dites rien, comme si vous vouliez la soustraire à mes ordonnances, au grand regret de Madame votre mère19, à qui j'ai bien fait faire quelque propositi (sic) dans une longue partie de whist (que l'abbé Gaume me récitait aussi attentivement que son bréviaire) par nos fréquents à parte. M. le comte de Falloux20 était là. J'ai eu l'honneur de lui être présenté et le plaisir d'en être très bien et très vite agréé. Il ne lui a manqué que de venir à Saint-Maurice, pour me reconnaître sans m'avoir vu. Il faut en vérité que nous nous soyons rencontrés quelque part, votre famille et moi, dans la métempsycose. J'ai distribué vos souvenirs à chacun de leurs adresses, où ils ont été accueillis avec reconnaissance. Tout le monde se félicite du bon voyage de Mme Alfred de Falloux21 comme d'une faveur personnel. Il n'y a plus d'égoïsme, quand on a eu le bonheur de l'approcher. Je passe la soirée avec les Saint-Genys22 chez les Quatrebarbes23. Nous avons tous bien regret que votre Saint-Barthélemi24 [sic] ne soit pas encore arrivée. Pour vos amis, la foire a manqué.

J. Morel  

Page 1. aucune époque n'a été miraculeusement privilégiée : faux

         4. Trois villes en recueillirent le premier fruit : parallélisme nigé.

         id. ses exploits même avaient cherché un monde nouveau : on ne comprend que plus loin.

         6. Pieri et Artaud : miniature dans la fresque.

         id. la symétrie il n'y est pas ; le plat de M. de Bonald manque.

Dans les pages suivantes, le lien logique paraît ou rompu ou embrouillé.

         11. les disciples fouillèrent les archives, répète, devinrent l'objet d'une étude plus générale p. 8

Page 12. dut-il s'appeler l'Esprit Saint : concetto au non digne.         

         16. la parabole est un peu longue et la morale un peu écourtée.

La confusion renait : l'esprit du lecteur entendant un motif commencé, quitté et repris s'écrie d'impatience : où veut-on que j'aille enfin ?

          22. Lucas Silvius : la fresque descend sur le chevalet.

          28. loin de traiter comme le rêve d'un poète, la campagne d'Égypte sembla la boutade p. 4.

          id. tant de perfectionnements dans les arts auront plus l'extermination pour but, répète, si elle a recueilli ses forces, ce n'est plus pour les prodiguer, p. 10.

Page 33. fin mesquine, et d'ailleurs ne tombant pas d'aplomb.

Au total:matériaux de prix, fragments magnifiques, qui gisent épars en attendant la synthèse de l'architecte.

Correction à corriger.                    J. M.

Samedi soir.                             

Notes

1Le titre exact de l'ouvrage du pape Benoit XIV (1675-1758) est  De servorum Dei beatificatione .
2Marie Stuart, reine d’Écosse (1542-1587). Emprisonnée et condamnée pour trahison par sa cousine, elle fut exécutée en 1587.
3R. P. Nicolas Caussin (1583-1651), La Cour Sainte ou institution chrétienne des grands,  Paris, D. Béchet, 1664, 6 vols.
4Célèbre bataille navale, en 1571 (7 octobre) au cours de laquelle la flotte du sultan ottoman fut anéantie en Grèce, dans le golfe de Lépante par les galères espagnoles et vénitiennes. Point d'orgue de la croisade organisée par Pie V, elle met un terme à la peur qu'éprouvaient alors les chrétiens à l'égard des Turcs.
5Les fresques de la Sala Regia du Vatican font partie des œuvres les plus célèbres des frères Taddeo et Federico Zuccari.
6Marc Antoine Colonne (1478-?), militaire. Commandant en chef des galères du pape, il se signala à la bataille de Lépante contre les Turcs.
7Charles Pierre François Augereau (1757-1816), maréchal d'Empire.
8Jean-Andoche Junot, duc d'Abrantés (1771-1813), général. Secrétaire de Napoléon Bonaparte, il participa à ses côtés à la campagne d'Italie et à la campagne d’Égypte.
9Félix de Peretti de Montalte (1521-1590), nommé cardinal par Pie V en 1570, il succéda à Grégoire XIII et prit le nom de Sixte V.
10Il prit le nom de Grégoire XIII lorsqu'il succéda à Pie V, en 1572.
11Pierre d'Alcántara (1499-1562), franciscain. Jugeant insuffisamment ascétique la vie de son ordre, il créa une branche plus rigoriste, celle des Franciscain « Alcantarins ».
12Alphonse Marie Antoine Jean Côme Damien Michel Gaspard de Liguori (1697-1783), ecclésiastique italien, fondateur de la Congrégation des Rédemptoristes.
13Grégoire XIII (1502-1585) fut le successeur de Pie V, en 1572.  
14Sélim Ier (1470-1520), 9ème sultan de l'Empire ottoman.
15Général turc.
16Général turc.
17Foy, abbé de. Ecclésiastique, il publia les lettres d'un ambassadeur de Hongrie auprès de Soliman II, empereur turc.
18Lord Chatham (1708-1778) ?  homme d'état anglais, premier ministre de George III de 1766 à 1768 qui avait déclaré que l'existence de l'Empire ottoman était indispensable à l'équilibre de l'Europe.
19Louise de Falloux, née Fitte de Soucy (1784-1850), la mère d'Alfred de Falloux.
20Guillaume Frédéric de Falloux (1775-1850), le père d'Alfred  de Falloux.
21Marie Charlotte Rosalie de Falloux, née de Caradeuc (1821-1881).
22Arthur de Saint-Genys, propriétaire demeurant dans son château de La Lorie, à Segré.
23Théodore de Quatrebarbes, propriétaire angevin.
24Étude de Falloux sur La Saint-Barthélemy qu'il présenta lors du Congrès scientifique de France en 1843 et qui fut publiée la même année dans Le Correspondant puis rééditée dans ses Études et souvenirs,  Paris, Perrin, 1885.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «19 novembre 1843», correspondance-falloux [En ligne], CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Monarchie de Juillet, Année 1843, Années 1837-1848,mis à jour le : 21/06/2011