CECI n'est pas EXECUTE 6 décembre 1846

Année 1846 |

6 décembre 1846

Alfred de Falloux à Victor de Persigny

6 décembre 1846

Vous avez eu bien raison, mon cher ami, de m'associer à votre douleur, car personne n'y prendra une part plus vive et plus sincère. Il m'a été particulièrement pénible d'apprendre vos affections de famille au moment où vous vous les voyez enlever. Je croyais que vous aviez eu de ce côté de cruelles déceptions et je respectais avec soin le silence que vous observiez à cet égard. Cependant, cher ami, même après les avoir perdus, c'est quelque chose que de les avoir goûtées, ces émotions ineffaçables du cœur et je vous plains moins de pleurer un mort que d'avoir eu à pleurer des vivants!!

Je suis consolé aussi d'apprendre par vous toutes les qualités et toutes les vertus de Monsieur votre frère1. Vous me faites bien sentir la perte que je fais moi-même puisque j'étais à la veille de faire connaissance avec lui et de serrer sa main en même temps que la vôtre. Vous n'avez plus trouvé en arrivant pour le soigner, que sa mémoire, mais cette mémoire vous êtes apparue entourée de larmes et de bénédictions et vous rapporterez du moins de ce cruel voyage un souvenir qui vous fortifiera toute votre vie. Vous aurez besoin aussi de suivre l'âme de votre frère là où elle vous attend et continue à vous désirer. La foi qui a fait sa force au moment suprême fera, j'en suis sûr un jour la vôtre dans l'épreuve qui vous reste à traverser et vous reconnaîtrez de plus en plus que les affections qui n'auraient que la terre pour théâtre et pour limite serait bien insuffisantes pour ce torrent d'amour qui palpite en nous. C'est d'ailleurs inculte bien doux à la douleur que de prendre pour modèle ceux que la mort a consacrés, et toute votre lettre respire, comme à votre insu, ce sentiment à un degré qui m'a bien vivement ému. Je vous en remercie, je vous en félicite et surtout, cher ami, croyez bien que je ne vous en parlerai jamais d'une façon indiscrète jusqu'à ce que vous m'y autorisiez vous-même.

Je suis bien heureux de vous voir revenir à Versailles puisque c'est presque Paris et que dans un mois par conséquent nous serons redevenus voisins. J'arriverai à la rue du Bac le 8 ou le 9, sauf accident, c'est-à-dire à la veille d'entrée en fonction et pour y rester autant qu'il plaira à Monsieur Guizot de nous retenir.  Ma femme voit se <mot illisible> par l'hiver le peu d'amélioration de santé que j'avais attribué au eaux de Néris2 et qui n'appartenaient apparemment qu'à la belle saison. Loyde va à merveille, moi très passablement. Si vous avez obtenu de M. de Girardin3 l'insertion tant retardée, je vous serai fort reconnaissant de m'envoyer un numéro à Becherel4, Ille-et-Vilaine. S'il vous fait subir encore quelque ajournement et que vous jugez à propos de lui retirer votre article veuillez me le garder soigneusement et me l'apporter dès notre première entrevue car je tiens infiniment à en faire mon profit. Vous n'oublierez pas que c'est vers l'heure du déjeuner que vous êtes plus sûr de me trouver. J'attends aussi avec impatience les détails de votre nouveau travail. Il n'est pas toujours besoin de comprendre pour admirer et tout en ne vous jugeant que par les résultats, je ne demeure désintéressé de quoi que ce soit qui vous occupe. Merci encore, cher ami, de votre souvenir en pareil circonstances, c'est le meilleur des gages d'amitié parmi tous ceux que vous m'avez déjà donné et vous savez que j'y réponds du fond du cœur.

Tout à vous

Falloux

 

1Henri Fialin de Persigny (1803-1846).

2Néris-les Bains, dans l'Allier; Falloux y a effectué plusieurs séjours pour soigner ses névralgies.

3Marc Girardin, dit Saint-Marc Girardin (1801-1873), professeur, écrivain et homme politique. Député sous la monarchie de Juillet (1834) sous la Seconde république, en 1848, il avait été élu à l'Assemblée nationale du 8 février 1871. Conseiller d'état, il fut ministre de l'Instruction publique sous la monarchie de Juillet, de 1845 à 1848. Collaborateur de la Revue des deux mondes, il était membre de l'Académie française depuis 1844.

4Les parents de Marie de Falloux y possédaient un domaine.

Notes

1Persigny venait de perdre son frère.
2Girardin, Émile de (1806-1881), journaliste français, fondateur, en 1836, de La Presse, premier des quotidiens à grand tirage. Député sous la Monarchie de Juillet, il démissionna de son siège à la veille de la révolution de Février. Rallié à la République, il soutint Louis-Napoléon avant de l’attaquer, ce qui lui valut d’être expulsé lors du coup d’État. Rentré peu après en France, il reprit la direction de La Presse.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «6 décembre 1846», correspondance-falloux [En ligne], CORRESPONDANCES, Monarchie de Juillet, Années 1837-1848, Année 1846, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES,mis à jour le : 26/12/2023