CECI n'est pas EXECUTE 24 février 1850

Année 1850 |

24 février 1850

Victor de Persigny à Alfred de Falloux

Berlin, le 24 février 1850

Je suis vraiment honteux, cher ami d'être resté si longtemps à vous écrire. Mais comme je pense que vous ne doutez pas de ma vive et profonde amitié j'aime à croire que vous me pardonnerez ma négligence. J'ai pour excuse d'ailleurs les préoccupations de chaque jour et Dieu sait si j'ai eu l'esprit libre un seul instant depuis votre départ. J'ai appris avec avec beaucoup de peine le nouveau malheur qui vous est arrivé par la perte de votre père. Quoique je n'eusse pas l'honneur de le connaître je prends trop de part à tout ce qui vous concerne pour ne pas m'affliger avec vous.

J'ai appris du reste que votre santé se rétablissait et j'en suis bien heureux. Vous êtes devenu un homme trop utile de notre pays pour que tous les honnêtes gens ne fassent pas des vœux en votre faveur.

Je suis seul au milieu d’événements très intéressants et qui je crois sont destinés à amener une solution à bien des questions européennes si tant est qu'il y ait jamais des solutions aux affaires humaines. Mais si je ne m'abuse étrangement la paix de l'Europe ne sera pas longtemps maintenue s'il y a en Europe trop de préjugés de chaque côté pour que la <mot illisible> dirige en paix les affaires des diverses nationalités. La Révolution  française a partagé l'Europe en deux camps et il n'y a pas d'hommes assez puissant pour faire la transaction. Quelque soit par exemple l'état politique nouveau des grandes monarchies, je m'aperçois qu'elles ont au fond les mêmes préjugés que du temps de Louis-Philippe où demandant sans cesse au roi parvenu des petits services humiliant pour le caractère national elles ont elles-même amené la catastrophe qui a failli tout engloutir . Il n'y a en France qu'un sentiment capable de triompher du sentiment révolutionnaire sur le sentiment national., et comme aucun nom ne répond  mieux à ce sentiment que celui de Napoléon, c'est  tout <mot illisible> du rétablissement de l'ordre malgré les plus détestables institutions. Tout l'Europe  serait donc intéressée à respecter beaucoup une force qui tend à étouffer de plus en plus les mauvaises passions révolutionnaires. Tout le monde le comprend à l'état théorique mais bien peu à l'état pratique. Les classes élevées ne le comprennent pas en France, les cabinets européens pas davantage. Il arrivera donc que d'un côté en France les classes élevées feront des fautes qui forceront le président à faire appel à la fibre nationale pour lutter contre elle et je déplore davantage amèrement ce qui arrivera car je ne doute pas du résultat, de l'autre les cabinets feront des fautes analogues et ils voudront et ils veulent déjà recommencer contre un Napoléon ce qu'ils ont fait pendant 18 ans contre Louis-Philippe et nous placerons dans cette situation ou de blesser le sentiment national et par suite de tomber dans la boue des barricades ou de réveiller sérieusement la fibre nationale et de jeter <mot illisible> de guerre terrible. C'est ce dernier cas qui arrivera, et pour mon compte, je ne déplorerai pas beaucoup cette nécessité parce qu'il vaut mieux mille fois pour les sociétés européennes de s'agiter quelque temps sur des champs de bataille que de tomber dans la honte du socialisme. J'ai fait entendre ici des paroles auxquelles on n'est guère habitué depuis longtemps mais j'ai donné un avertissement qui sera utile et qui replace notre diplomatie sur un pied tout nouveau.

Adieu, cher ami, donnez-moi de vos nouvelles. Faites mes compliments les plus dévoués à votre ami et à votre femme et croyez à mon amitié la plus sincère.

                                                                           Votre bien dévoué

                                                                            F. de Persigny


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «24 février 1850», correspondance-falloux [En ligne], BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Seconde République, Années 1848-1851, Année 1850,mis à jour le : 18/07/2011