CECI n'est pas EXECUTE 10 décembre 1859

Année 1859 |

10 décembre 1859

Charles de Rémusat à Alfred de Falloux

Lafitte par Le Fousseret Haute-Garonne, 10 décembre [1859]

Mon cher confrère,

Vous êtes bien aimable d'avoir pensé à moi. J'en ai été fort touché, et si vous vouliez me faire un grand plaisir, vous y avez réussi. J'ai lu tout d'une traite vos deux volumes et ils m'ont vivement intéressé ; il venait de vous. Puis, quoique ayant vécu, il y a déjà quarante ans, avec des personnes de l'intimité de Mme Swetchine, je ne la connaissais pas ; je la connais maintenant ; et grâce à vous peut-être autant que grâce à elle, je conçois et j'éprouve presque le goût et l'amitié qu'elle aspirait à tant d'hommes distingués. Je n'étais pas sans préventions, était russe, un peu grande dame et à ce que je croyais, un peu bas-bleus de dévotion (excusez ma franchise). Je ne veux pas dire qu'elle me plaise de tout point, que je suis revenu de toutes mes injustices. Mais je crois que sa piété était vraie et sérieuse ; et qu'elle avait beaucoup d'esprit. Ce dont je suis encore plus sûr, c'est qu'il était impossible de faire avec plus d'art et cependant d'affection un récit et un portrait où le peintre s'efface derrière le modèle et n'en montre que mieux le talent que le sujet demandait. Je pense que votre dévouement à la mémoire de Mme Sw[etchine]. doit être satisfait. C'est un bonheur pour sa mémoire qu'un pareil ouvrage.

Si je voulais abuser de la liberté que votre indulgence me permet, je vous chercherai querelle, mon cher confrère, sur la sympathie qui vous reste pour M. de Maistre. À mon sens, aucun homme n'a fait plus de mal à tout ce qui vous est cher que ce catholique si peu chrétien qu'il n'a parvenir [sic] à concevoir et à présenter le christianisme autrement que comme une politique, et une politique de Machiavel encore. Mais c'est une trop grande affaire pour en parler si légèrement, j'aime mieux revenir à ce qui nous lie qu'à ce qui nous sépare, et vous dire encore combien j'ai été intéressé et captivé par votre ouvrage et combien je vous félicite de l'avoir écrit.

Voilà donc encore Montalembert sur la brèche1. J'admire son entrain et son courage, sans le trouver toujours selon la prudence et la mesure. Mais cela vaut mieux que la tiédeur. Vous savez ce qu'il faut penser des tièdes. J'ai été affligé de voir dans une ligne de votre livre que vous aviez toujours à vous plaindre de votre santé. Je déplore surtout des mots aussi importuns et qui prennent tant sur l'agrément de la vie.

J'espère que vous ne tarderez pas à éprouver quelque soulagement. Je le désire vivement, et je vous prie, mon cher et honorable confrère, d'agréer l'expression de mes sentiments de haute considération et de sincère dévouement.

Ch. Rémusat

Notes

1Suite à son article Pie IX et la France en 1849 et en 1859 publié dans le Correspondant (25 octobre 1859) qui s'en prenait avec vigueur à la politique de Napoléon III en Italie, Montalembert avait été sommé de s'expliquer devant un juge d'instruction.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «10 décembre 1859», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, Année 1859, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES,mis à jour le : 31/03/2013