CECI n'est pas EXECUTE 2 novembre 1865

Année 1865 |

2 novembre 1865

Henri de Riancey à Alfred de Falloux

Paris – où j'arrive de mardi - le 2 novembre 1865

Mon cher ami, L'Union d'avant-hier vous a déjà porté une réponse aux principal. Vous voyez que je n'ai rien attendu, et que du moment où j'ai su qu'il y avait un comité formé, fusse provisoirement, j'ai fait un appel à L'Union à offrir sa souscription. C'était, d'ailleurs, ce que j'avais promis, dès avant l'oraison funèbre, et bien antérieurement à toute explication, explications, veuillez le remarquer avec soin, que je n'aurais jamais eu l'idée de provoquer et à laquelle je n'ai fait que répondre. Permettez-moi de vous dire, en toute simplicité, que je me suis fait bien mal comprendre. J'étais à cent lieues de me formaliser en quoi que ce soit de la façon quelconque dont on constituerait un comité. Tel qu'il serait sorti de vos délibérations, des vœux de la famille, il était d'avance accepté par nous. Seulement j'ai voulu dire et je maintiens qu'une grande commission, plus nombreuse eût été plus facile à composer et d'un effet plus certain. Un comité d'exécution eut ensuite tous reliés et il eût agit souverainement pour le détail. On aurait acquis un concours plus généreux et plus actif. Vous le verrez par la presse de Paris et de province, en particulier. Quant au noms – à ce que vous voulez bien appeler mes «observations préliminaires » - je reviens à ce que j'ai prononcé et qui s'était présenté à moi au courant de la plume. Pourquoi ai-je apposé à titre d'exemples le duc des Cars1 et le général Trochu2, à titre d'exemple ? Par ce que ces deux noms appartiennent à l'armée, à l'ancienne et à la nouvelle et les relient ainsi à celle dont Lamoricière était le glorieux intermédiaire. Je n'ai pas dû oublier que M. des Cars est le seul survivant – je crois – des généraux commandant la division qui ont pris à Alger et il me semblait que la mémoire du vainqueur d'Abd-el-kader serait honoré de voir se réunir pour lui faire hommage, le général sur qui il a fait ses premières armes à Storouli (?) et celui qui lui servait d'aide de camp à Isly. J'avoue que je n'avais pas du tout pensé qu'il s'agit de rassembler exclusivement des « noms tous parlementaires », pour rendre honneur un nom qui, s'il a été brillamment parlementaire, a été encore plus brillamment militaire. Vous en avez jugé autrement : soit. Pour moi, j'aurais voulu M. de Bourmont3, s'il avait survécu et le nom d'un des premiers occupants de l'Afrique me paraissait ne pas mal <mot illisible> près des deux autres générations d' »Africains ». Voilà tout. M. des Cars et le général Trochu auraient-ils accepté ? Je n'en sais absolument rien, ne les ayant vus ni l'un ni l'autre depuis plus de quatre mois. Mais je leur aurais proposé à tous deux.

De même pour M. Berryer, pour M. Thiers, pour le général Changarnier, pour d'autres noms encore plus prononcés, Cavaignac, s'il eût été de ce monde et s'il eût approuvé Castelfidardo. On a un devoir d'arrêter à d'autres impressions. Je n'ai rien à dire et je n'en servirais que de mon mieux le comité tel qu'il est.

Quant à moi, cher ami, de grâce, n'y revenons plus. J'étais tranquillement au fin fond d'une petite vallée de la Beauce, ne voyant personne et n'entendant parler de rien. Je n'aurais jusqu'à quoi que ce soit, si M. de Bertou ne s'était pas imaginé que je me taisais parce que j'étais oublié ou écarté, tandis que j'attendais tout bonnement que quelqu'un me notifiât ce qui avait eu lieu par une <mot illisible> que L'Union annonçait dès le 22 septembre ! Je n'ai pas assez l'habitude d'être mis en avant pour m'apercevoir quand je suis laissé en arrière. Une organisation plus vaste m'aurait paru destiné à un meilleur succès : qu'on m'y eût bien voulu ménager place, j'en aurais été honoré pour L'Union : comment lutte éloigner, je n'en aurais pas soufflé mot et n'aurais pas été moins jaloux de coopérer à l’œuvre. Maintenant, je vous avouerai très franchement que je suis plus que surpris de la pensée que vous semblez avoir en me «conjurant de réfléchir très pieusement sur la portée de mon refus d'avoir nos bureaux à la souscription, <deux mots illisibles> jusqu'à la formation définitive du comité » un refus ? J'ai dû bien mal exprimer ma pensée ! Quoi ?  Je prie M. de ? de prendre pour <mot illisible> de la réponse qu'il a à faire à une lettre qui part d'une supposition erronée, l'assurance que L'Union fera un appel et ouvrira la souscription aussitôt qu'elle saura qu'il y a un comité. Je trouve l'indication de ce comité dans le numéro du 28, et après l'Espérance du Peuple répondant incidemment au Phare de la Loire. Je m'en empare et le 29, de Tréon, j'envoie un appel : L'Union l'insère le 30 avec sa propre offrande. Mais voilà que vous me demandez si j'attendrai un mois ou six semaines et « Quelle explication je donnerai de ce retard »? Vraiment c'est me connaître bien mal, et je me croyais le droit être mieux jugé !

Que signifie ensuite cette série de déductions tirées du silence ou d'un refus qui étaient si loin de « ma pensée », qu'à l'heure même où vous m'adressiez cette supposition si pénible et ces objections si peu fondées, j'écrivais l'appel et je passais dans la presse de Paris I initiative que personne autre n'a prise ? Qui donc ai-je envie de « compromettre » ? et à quel propos faire intervenir ici la pensée intime que je représenterais ? J'étais alors, je vous le répète au fond de la plus modeste et profonde retraite. Je n'ai vu personne, ai agi que de moi seul et vous me parlez de système « exclusif », d'entourage « disposé à déménager le moindre petit mur de fusion qui ait réussi »..J'avoue que je ne comprends rien à tout cela et que je tombe de mon haut.

Permettez moi aussi, cher ami, de vous demander quelle allusion vous voulez faire à « l'infatigable malveillance et à l'audace de calomnie qui viennent de se signaler d'une façon si étrange à l'égard de mon de Mgr de Mérode1! » comment nous avons toujours soutenu et défendu le ministre des armes et il semblerait que nous aurions pu quoique ce fut aux indignités dont l'abreuvent les révolutionnaires et dont nous le vengeons chaque soir ! J'avoue que je comprends encore moins.

Quant à être exclusif !, quel injuste reproche!permettez-moi de le prendre pour moi, sans le faire remonter plus haut : car vous avez soin de m'écrire : «  prenez garde de faire dire... » dans la circonstance présente, personne n'a été plus large que nous ; et moi-même qu'est-ce que j'ai pu regretter, dans ma réponse provoquée par M. de Bertou ? - qu'on n'ait pas étendu le cercle au lieu de le restreindre !Que voulez-vous de moins « exclusif » ? En retour, et dans bien d'autres circonstances ce mois, c'est nous qui aurions pu avoir à regretter un système d'exclusion : mais Dieu nous garde de la moindre récrimination ! Seulement je vous avoue que de votre part et dans ce cas si je pouvais m'attendre à quelque observation, ce n'était, certes, pas en ce sens. Je vous parle, cher ami, avec ma franchise égale, vous le voyez, à celle que vous voulez bien me témoigner vous-même. Je me borne à répondre : mais je ne vous dissimule pas la peine singulière que me causent vos interprétations et vos remarques, bien qu'elles ne viennent que d'un malentendu. Assurément, je vous connais assez pour être convaincu que vous regretterez de vous être mépris à ce point et sur mes intentions et sur mes actes. N'étant avisé par personne de la situation, de la naissance même d'une <mot illisible> par laquelle j'avais permis d'avance le plus zélé <mot illisible>, mon silence plein de réserve bienveillante, est attribué à des causes vraiment peu dignes de m'être imputées. Je réponds en affirmant de nouveau ma promptitude et mon celle à seconder l’œuvre aussitôt qu'on voudra bien m'apprendre <mot illisible>. À la première nouvelle indirecte, je prends l'initiative – ce que n'a fait aucun autre – pas même le Correspondant où vous devez avoir quelque crédit – ni la Gazette2 qui est sans doute mieux que L'union dans les papiers de l' « Union libérale » comme disait M. de Bertou. Et c'est à moi qu'on reproche nos « retard », nos « refus », en partant de là pour conclure à notre « exclusivisme » et aux « périls » que nous faisons courir à la cause qui a le dévouement de nos jours et de nos nuits ! Non, ce n'est pas juste, mon cher ami ! Vous voyez qu'il faut que je sois à la fois bien affligé et bien que blessé de cette injustice pour vous en écrire avec cette netteté et cette vivacité. Mais vous savez que mon amitié n'a pas l'air de feindre. Il faut que je compte beaucoup sur la vôtre pour être si explicite. Vous me le pardonnerez, j'en suis persuadé et ne verrez, ici comme toujours, qu'une preuve nouvelle de la sincérité de mon affection et des sentiments de gratitude et de dévouement que je vous porte. À vous de tout cœur.

Henry de Riancey

Notes

1Des Cars ou D'Escars, Amédée François Régis de Pérusse, duc (1790-?), nommé maréchal de camp sous la Restauration, il hérita de la pairie en 1822 et fut comblé de faveurs par Louis XVIII. Ayant accompagné Charles X dans son exil, il rentra en France en 1840. Éloigné des affaires politiques, il conservait néanmoins une influence considérable dans le parti légitimiste.
2Trochu, Louis Jules (1815-1896), officier, il sert en Algérie, en Crimée, en Italie et devient général en 1866. Son livre L’Armée française en 1867 , où il dénonce la désorganisation de l’armée impériale, lui vaut sa disgrâce, mais une indéniable popularité qui amène Napoléon III à le fait nommer gouverneur de Paris le 17 août 1870. Le 4 septembre, il devient président du gouvernement de la Défense nationale. En butte au peuple parisien qui lui reproche son inconsistance, il se maintient néanmoins à son poste. La désastreuse sortie de Buzenval (19 janvier 1871) fait apparaître son incapacité. Il donne sa démission le 22 janvier 1871 tout en préconisant la capitulation. Élu député le 8 février 1871, il quittera un an plus tard la scène politique.
3Bourmont, comte de Ghaines de (1773-1846), général puis maréchal.Après une brillante carrière en Algérie, il avait refusé de rester au service de Louis-Philippe renonçant à ses titres et traitements.
1Mérode, Frédéric François Xavier de (1820-1874), frère de Mme de Montalembert, officier dans l'armée belge, il entra ensuite dans les ordres, puis devint camérier secret de Pie IX. Devenu par la suite son pro-ministre des Armées, il mit sur pied l'armée pontificale (1860). Il était peu favorable aux catholiques libéraux mais conserva des rapports d’affection avec Montalembert. On lui attribuait une grande influence sur les relations du pape avec le gouvernement français. En octobre 1865, il fit agréer au pape sa démission. En juin 1866, il sera nommé archevêque in partibus de Mitylène.
2La Gazette de France.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «2 novembre 1865», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, Année 1865, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES,mis à jour le : 22/04/2019