CECI n'est pas EXECUTE 15 décembre 1872

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15 décembre 1872

Rodolphe Apponyi à Alfred de Falloux

Presbourg1, 15 décembre 1872,

Mon cher extrême ami,

Les journaux vous auront apporté les bruits sur ma nomination2 à Paris, mais je veux que vous soyez un des premiers à l'apprendre comme une nouvelle positive et un fait accompli. Le poste m'a été offert de la manière la plus gracieuse et je l'ai accepté avec d'autant plus d'empressement que la façon plus que cavalière dont j'avais été évincé de Londres exigeait une réparation d'honneur qui m'est ainsi accordée de la manière la plus complète et la plus flatteuse. Mon nouveau chef et compatriote s'est conduit avec autant de délicatesse et de courtoisie que son ignoble prédécesseur en avait montré peu à mon égard. M. Thiers3 m'a accepté de la manière la plus bienveillante et je ne doute pas que les bonnes et aimables paroles de mon collègue le duc de Broglie4 n'y aient puissamment contribué. 59 ans est trop tôt pour être mis aux Invalides et je suis donc heureux qu'un poste aussi intéressant et aussi sympathique à mes souvenirs et à mes traditions, m'ait été confié. Une de mes premières et plus chères pensées a été que ma nouvelle destination me rapprochait de vous, mon meilleur et plus fidèle ami et que je promets <deux mots illisible> de réaliser le projet d'une visite au Bourg d'Iré que je caresse depuis tant d'années sans y parvenir. Ce sera pour moi un véritable bonheur de vous revoir et de me retremper auprès de vous dans tant de chers et longs souvenirs. Votre amitié et votre expérience me conseilleront et me guideront sur le terrain difficile et nouveau où je suis appelé à agir, et je ne doute pas que vous me prêterez votre appui auprès des personnages influents qui sont vos amis personnels et qui pourront m'être utiles.

Je n'ai ni le cœur ni la volonté de revenir sur les tristes évènements qui qui se sont accomplis depuis que nous nous sommes écrits pour la dernière fois. Des volumes ne suffiront pas pour épuiser ce lugubre sujet. Qu'il vous suffise de savoir que mes pensées n'ont jamais cessé d'être tournées vers vous, mon ami et que mon cœur, vos anxiétés, vos souffrances et votre douleur de n'avoir pu prendre une part active à tout ce qui regarde les destinées de votre pays. Nous reviendrons là-dessus, lorsque nous nous retrouverons soit en Anjou soit à Paris, où je compte être à vue de pays vers la fin de janvier. En attendant je suis ici auprès de ma mère qui me charge de mille tendresses pour vous. Elle vient de subir il y a 3 semaines une nouvelle ponction, la 6ème, et se remet avec une rapidité merveilleuse pour ses 82 ans. Son espoir et son cœur n'ont pas changé et son indulgente bonté exerce toujours le même charme que vous connaissez. Nous avons passé l'été et une partie de l'automne avec elle à Apponyi. Mes enfants et petits-enfant Salmonié (?) étaient venus nous y rejoindre et plus tard nous sommes allés avec eux passer le mois de septembre à Longyel, mon château, que nous sommes en train d'arranger. C'est le surlendemain de mon retour de Londres que la nouvelle de mon rappel est venue me relancer comme un coup de foudre à peine nous étions nous habitués Annette et moi à l'idée d'une modeste indépendance, partageant notre existence entre la Hongrie et l'Italie qu'on m'a proposé Paris. Voilà en abrégé l'histoire de nos mouvements et de nos péripéties, que je me réserve de vous raconter plus au long. Mais je m'aperçois que je ne vous ai  pas encore parlé d'Alex. Il se porte pour la 2ème fois candidat à la députation pour l'été prochain, mais s'il échouait de nouveau, je ne désespère pas de le voir rentrer dans la diplomatie et de l'avoir avec moi à Paris. Ce serait le comble de mes vœux, car c'est là je crois, son véritable terrain, celui où il est destiné à briller. Il vous est toujours tendrement attaché. Et maintenant adieu ou plutôt au revoir mon bien cher ami. Adressez-moi quelques mots ici pour me dire que vous partagez un peu la joie que j'éprouve de notre prochain revoir.  Rod.

Notes

1Ville de Hongrie.
2Rodolphe venait d'être nommé ambassadeur d'Autriche à Paris.
3A. Thiers était alors le chef du gouvernement.
4Albert de Broglie était alors ambassadeur de France à Londres.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «15 décembre 1872», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, 1872, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES,mis à jour le : 29/04/2013