CECI n'est pas EXECUTE 23 mars 1871

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23 mars 1871

Mgr Dupanloup à Alfred de Falloux

Tours 23 mars 1871

Mon Cher ami,

J'étais parti dimanche d'Orléans pour me rendre à Versailles, quand le lendemain lundi, au moment même où j'allais prendre le train du Mans, avec quelques uns de nos collègues de l'assemblée, j'ai été saisi d'une subite et grave indisposition qui heureusement a cédé aux soins immédiats et très intelligents qui m'ont été donné par le médecin de l'archevêque de Tours1, chez lequel on m'avait transporté. Cependant le médecin s'oppose absolument à ce que je parte d'ici avant lundi. Dans votre dernière lettre vous me parliez de la nécessité de faire du Français2 un grand organe religieux. Vous savez que j'ai toujours été et suis encore de cet avis; et je vous en avais parlé dés le mois de juillet en revenant à Orléans.

Mais est-ce possible? Tout excellent qu'ils sont, ces jeunes gens sont ils assez mûrs et assez sûrs ? Le soulèvement universel qu'ils viennent de provoquer contre eux le leur permettra-t-il ? S'imaginer qu'ils peuvent insulter à leur aise toute la France monarchique et en même temps se faire accepter comme des défenseurs sérieux et accrédités de la cause religieuse en France, n'est-ce pas une grave illusion?

Je ne veux pas assurément faire M. Beslay3 ni M. Thureau-Dangin4 responsable de cette attitude et de ces excès là; j'ai vu à Bordeaux M. Thureau-Dangin, et il a discuté très convenablement avec moi ses pensées sur la forme républicaine mais il faut qu'ils y prennent garde. Ainsi hier après un très bon article, il y a eu deux entrefilets sur les orléanistes et les légitimistes, des paroles tout à fait puériles et indécentes.

Je ne leur demande pas de parler ni contre leur conscience, cela va sans dire, ni même contre leurs opinions; ce que je leur demande c'est de ne pas soutenir en face des faits de l'heure présente leurs théorie comme une gageure: l'enjeu est trop considérable, c'est de ne pas parler comme le Français l'a fait d'une assemblée, qui sans doute a besoin d'expérience et de lumières, mais non pas de telles injures, et qui après tout, peut et doit sauver la France. Je leur demande de penser à deux choses: d'abord qu'ils ont vécu comme des exilés et des émigrés pendant cinq mois; ensuite, que la France d'une part et Paris de l'autre, leur offrent, en ce moment même, des leçons dont il faut savoir profiter. J'attache candidement et obstinément à des théories, sans vouloir regarder aux réalités des hommes et des faits; ne pas voir que ce n'est pas avec des républicains comme ceux qui sont là, et qui ne conçoivent la République que comme l'abolition du prolétariat et du salariat, que ce n'est pas avec de tels éléments qu'on fonde une république ni avec la forme républicaine qu'on échappe à de tels périls, c'est avoir perdu absolument le sens politique et tout sentiment des nécessités les plus graves. Arrêtez les, je vous en conjure, sur une pente aussi funeste, et qui ne peut que les perdre eux et leur œuvre.

Veulliez agréer tous mes bien dévoués sentiments.

F. d'Orléans.

Notes

1Mgr Guibert.
2Fondé le 2 août 1868 sous les auspices de Mgr Dupanloup pour défendre la cause catholique libérale, Le Français avait alors pour rédacteurs principaux, François Beslay et Paul Thureau-Dangin.
3Beslay, François (1835-1883), avocat et journaliste. Avocat en 1856, il était entré en 1860 à la Société d'économie charitable où il s'était lié d'amitié avec Armand de Melun, un proche de Falloux. Entré au Français dés sa fondation, il en était le rédacteur en chef.
4Thureau-Dangin, Paul Marie Pierre (1837-1913), historien. Auditeur au Conseil d'Etat, il publia plusieurs ouvrages d'histoire notamment une Histoire de la renaissance catholique en Angeleterre au XIXe siècle. Catholique libéral, il ne jugeait pas le catholicisme incompatible avec le régime républicain.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «23 mars 1871», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, 1871, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES,mis à jour le : 10/05/2012