Année 1849 |
22 juillet 1849
Alexis de Tocqueville à Alfred de Falloux
Paris, 22 juillet 1849
Je ne vois nulle indiscrétion, cher collègue, à vous faire lire in extenso la lettres particulière que je viens de recevoir de notre ami Corcelle. Renvoyez-moi la après en avoir pris connaissance. Je joins également à mon papier une dépêche du même jour du c[om]te de Rayneval que je vous prie également de me renvoyer après l'avoir lue.
Après avoir parcouru ces deux pièces, je suis resté profondément attristé, je pourrais même dire découragé, s'il était permis de se décourager dans les temps d'épreuves où nous sommes. Il est dur quand nous avons agi dans des intentions si droites de nous voir ainsi <mot illisible> et quand nous reculons au prix de notre sang et de nos trésors de ses grands services de ne recueillir que de la froideur et des soupçons. Mais ce qui me préoccupe plus que tout le reste, c'est la crainte qu'il ne sorte de tout ceci un profond amoindrissement de l'esprit religieux dans le monde, esprit dont, humainement parlant, nous avons tant besoin pour soutenir cette société en défaillance. Je ne sais pas comment toute cette malheureuse affaire va finir, mais je sais, quant à moi, quelle est ma détermination bien arrêtée. J'ai cherché dans la sincérité de mon cœur à réduire à ce qu'il y avait de plus modéré et de plus praticable les demandes que nous avions à adresser respectueusement au Saint-Père ; s'il nous reproche, s'il veut nous rendre les témoins et les garants d'une restauration aveugle et impitoyable, j'imposerai la situation et je ne me retirerai des affaires pour ne pas porter la responsabilité d'un état de choses aussi contraire aux intérêts de l'église qu'un autre honneur. Quelle difficulté on rencontre à faire bien dans ce monde, quelque désir désintéressé qu'on y apporte !
Mille amitiés
. Alexis Tocqueville
