CECI n'est pas EXECUTE 17 juin 1873

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17 juin 1873

Camille de Meaux à Alfred de Falloux

Versailles, 17 juin 1873

Cher Monsieur,

J'ai laissé ma femme exprimer la première les sentiments et les souvenirs que l'on emporte du Bourg d'Iré. On y trouve le repos qui fait du bien ; car on en rapporte force et lumière, en même temps que des exemples de sérénité qui devraient apprendre à surmonter (au besoin), de bien dures épreuves. Soyez donc tous bénis une fois de plus pour le bien que vous nous avez faits en même temps que pour les jouissances que vous nous avez donnés.

Depuis mon retour, je voulais et j'espérais vous parler de nos affaires, mieux que je ne sais le faire encore. J'ai trouvé le duc de Broglie trés affectueusement occupé de vous et touché des  témoignages que vous lui aviez adressé. Mais, je n'ai pu encore avoir avec lui une vraie conversation. Ses dispositions générales au surplus me paraissent bonnes : - avant tout maintenir l'union de la majorité, « je suis », répète-t-il à tout propos avec l'accent que vous lui connaissez, « je suis le chien de garde de la majorité » - dans ce but ne rien proposer ne rien provoquer jusqu'aux vacances pour la prolongation des pouvoirs du Maréchal quoiqu'au fond <deux mots illisibles> cet expédient – faire une bonne loi électorale municipale d'abord, politique ensuite et cette loi ne sera bonne que si elle exaspère les radicaux. Voilà bien sa politique.

Quelquefois seulement je crains que la pratique ne réponde pas à la théorie et qu'on tarde trop à résoudre et à conclure. Ainsi pour la loi municipale1, jusqu'ici le gouvernement laisse aller la commission de décentralisation et comme il ne l'aide pas à se débrouiller elle ne décide rien en sorte que nous sommes menacés de ne pas voir cette loi votée avant les vacances. Beaucoup de ministères et de ministériels voudraient confier la nomination des maires uniquement aux Prefets sous la seule condition de les choisir dans les conseils municipaux. D'autres ne pensent pas que l'Assemblée puisse se déjuger à ce point, je suis du nombre et je pense de plus qu'on peut trouver dans un système de présentation par les conseillers les plus forts imposés et dans un droit absolu de révocation ou de remplacement par l'autorité centrale des garanties aussi efficaces. Mais par dessus tout, je supplie le gouvernement d'avoir une opinion qui soit capable de prévaloir sans <mot illisible> et de savoir l'imposer. La situation particulière de Beulé2 depuis ses deux petits échecs contribue à cette indécision. Le pauvre homme reste un peu désorienté ; il vaut mieux aujourd'hui ce me semble le soutenir le fortifier que l'ébranler si peu que ce soit et par là risquer une secousse dans toit le cabinet. Mais encore faut-il qu'il reprenne au mieux son aplomb. Mais tout le plus grand danger de ce gouvernement de combat, c'est de n'avoir pas le tempérament militant. Je dis le danger plutôt que la faute jusqu'à cette heure ; car j'exprime ici des craintes et une des critiques <deux mots illisibles> comporte inévitablement la peine de l'interuption de toute république sans l'Empire ; nous avons tous à faire notre apprentissage et à supporter l'apprentissage d'autrui. Il faut nous guérir de ce mal là en commençant par le supporter avec une vaillante patience.

C'est principalement dans la nomination des évêques que je redoute actuellement cette timidité. Batbie3 à ce point de vue ne m'a point rassuré. Je suis effrayé de ce qui l'effraie, effrayé de ce qui lui semble hardi par exemple nommer un archevêque parmi les évêques abstentionnistes4 <deux mots illisibles>. Je n'ai pu encore aborder ce sujet avec le duc de Broglie qu'on ne saisit pas comme on le voudrait. Mais vous feriez bien ce me semble de lui en écrire. Ce n'est pas à cet égard que vous devez redouter la porte car il y aurait un appel sérieux à adresser à sa conscience de chrétien.

Et maintenant adieu pour aujourd'hui cher Monsieur. Mais je voudrais être encore près de vous et causer comme au Bourg d'Iré. Faites partager ma gratitude avec mes hommages à Madame de Falloux, à Madame de Caradeuc, à Mademoiselle Loyde et croyez moi bien à vous et avec vous du fond du cœur.

C. de Meaux

Notes

1Suite à la proclamation de la République, le 4 septembre 1870, un décret du 24 septembre 1870 attribue aux préfets la nomination des maires. Depuis l'arrivée de Mac Mahon à la présidence de la République, le 24 mai 1873, le pouvoir central a le droit de nommer tous les maires, sans obligation de les choisir parmi les conseillers municipaux. Trop indécis sur cette question sur laquelle il projettait de légiférer, le gouvernement d'A. De Broglie décida de la renvoyer à plus tard.
2Charles-Ernest Beulé est le ministre de l'Intérieur. Archéologue et homme politique (1826-1874), élève de l’école française d’Athènes, il s’occupa des fouilles de l’Acropole. Il acquit une certaine célébrité après la publication de son ouvrage L’Acropole d’Athènes (1853). De retour en France, il succède à Raoul Rochette à la chaire d’archéologie de la Bibliothèque impériale, puis est élu à l’Académie des inscriptions et belles-lettres (1860) dont il devient secrétaire perpétuel en 1862. Il publie, dans la Revue des Deux Mondes, une critique très vive du décret impérial du 13 novembre 1863 qui dépouillait l'Académie des Beaux-Arts d'un certain nombre de prérogatives. Il attaque également devant le Conseil d'Etat le décret autorisant la cession  à l'Angleterre des statues des Plantagenêt  et le mouvement d'opinion qu'il provoque fait rapporter cette décision. Cette attitude lui vaut une mise à la retraite anticipée. En 1871, il est élu représentant du Maine-et-Loire et siège au centre droit orléaniste. Le 25 mai 1873, il entre au cabinet de Broglie au ministère de l'Intérieur. Ayant tenté de mettre la presse au pas, il est vivement attaqué par la gauche. Il fut sacrifié lors du remaniement ministériel de Broglie (25 novembre 1873). Il se suicida le 4 avril 1874.
3Anselme Polycarpe Batbie (1828-1887) est le ministre de l'Instruction, des Cultes et des Beaux-Arts. Jurisconsulte, économiste et homme politique. Elu député de centre droit par le Gers à l'Assemblée nationale de février 1871, il était entré comme ministre de l'Instruction, des Cultes et des beaux-Arts dans le premier gouvernement d'A. de broglie du 25 mai au 26 novembre 1873. Le Ier janvier 1876, il fut nommé au Sénat où il siégea jusqu'à sa mort.   
4Lors du vote sur l'infaillibilité pontificale, le 18 juillet 1870, plus de 50 prélats dont 20 appartenant au clergé français avaient préféré s'abstenir.  

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «17 juin 1873», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, 1873, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES,mis à jour le : 17/05/2013