1882 |
23 juillet 1882
Albert de Broglie à Alfred de Falloux
23 juillet 1882
Je suis en effet revenu, cher ami, de mes pérégrinations qui étant malheureusement plus industrielles que religieuses me profiteront, j'en ai peur, en ce monde plus que dans l'autre. Je suis revenu pour assister au plus beau, au plus complet gâchis diplomatique et parlementaire dont on ait jamais eu mémoire. Je ne crois pas qu'il y ait jamais rien eu de comparable à cette assemblée renversant par hasard un ministère qu'elle venait de confirmer elle même (malgré ses répugnances et son mépris) une heure auparavant uniquement en raison de la gravité des affaires intérieures. La scène du lendemain n'a pas été moins ridicule et on reste absolument sans aucun gouvernement, en face d'un conseil municipal insurgé et à le [mot illisible] d'envoyer quarante mille de nos meilleurs soldats au fond de l'Affrique [sic]. Comment un pareil état de choses peut durer seulement quarante huit heures pour nous qui avons été accoutumés à des temps réguliers, c'est incompréhensible. Il y aurait eu dans le moindre de ces incidents, de quoi tuer cent fois les gouvernements appuyés sur des principes honnêtes et défendus par des hommes comme M. de Serre1, M. de Villèle2 ou M. Guizot. Faut-il croire que l'équilibre instable d'un vieux navire démâté qui flotte à la surface d'une eau croupissante vaut mieux que la fière attitude d'un beau bâtiment pavoisé qui tienne le vent et la tempête ? Ce serait triste : et en attendant, ce qui l'est plus que tout, c'est d'être obligé de s'opposer à ce qu'on va nous demander pour rétablir et [mot illisible] l'influence française qu'une série de saints incalculables a laissé perdre. Il est très triste de conseiller l'abdication et l'abstention au moment où l'Angleterre s'en va à la conquête de l’Égypte ? Mais peut-on réellement envoyer 40.000 hommes de plus (et nos meilleurs) vers cette terre d'Affrique [sic] qui en a déjà plus de cent en Algérie et en Tunisie ? Peut-on confier une pareille entreprise à un gouvernement qui n'a pas deux heures de vie assurée devant lui, et dont aucun membre n'a même un grain de bon sens et de jugement ? C'est affreux.
Et vous mon pauvre ami, vous avez donc encore de nouveaux chagrins. Il faut que Dieu vous aime bien, ce que je conçois d'ailleurs – quelle vie vous devez mener dans votre belle et triste demeure avec ce [mot illisible] homme désolé! Mais j'espère que rien ne vous empêchera de le quitter pour venir me donner à Broglie le temps que vous m'avez promis. J'espère toujours que nous serons libre dans les premiers jours d’août et je ne quitterai plus Broglie alors jusqu'à la fin d'octobre. Dites-moi le moment que vous choisissez, et je tâcherai de réunir quelques uns de vos amis. Mille amitiés toujours plus vives à mesure qu'elles deviennent plus vieilles. Broglie