CECI n'est pas EXECUTE 3 mars 1873

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3 mars 1873

Camille de Meaux à Alfred de Falloux

Versailles, 3 mars 1873

Cher Monsieur, comment ne vous ai-je pas écrit depuis votre départ ? Comment ne vous ai-je pas remercié de votre excellente lettre ? J'ai peine à me l'expliquer à moi-même. La vérité est que nous avons vécu dans de perpétuelles angoisses et que chaque jour je me demandais ce que j'aurais à vous dire le lendemain. Quelques maladresses du duc de Broglie, quelques malentendus avec le centre droit ont exaspéré nos amis dans le sein de la commission des Trente1, puis au dehors. La lettre du comte de Chambord2 loin de les calmer et de les rendre plus traitables, a accru leur mauvaise humeur contre tout et contre tous. Rompre avec le centre droit, rompre avec M. Thiers, dire non toujours et partout , voilà ce qu'on appelle, tout étant perdu , sauver les principes et l'honneur. Et par malheur cette disposition navrante et désormais incurable chez l'extrême droite menaçait de devenir celle de la droite entière. Kerdrel, Baragnon et moi nous avons été presque seuls un moment à résister à ce torrent, tandis que Cumont contenait le centre droit et en obtenait en définitive et à l'heure décisive une excellente conduite. Je suis rarement entré à la chambre plus inquiet que samedi dernier. Grâce aux efforts faits par M. Thiers, jusqu'à la dernière minute la séance a été bonne. L'alliance du parti conservateur avec le gouvernement est possible. Le président la veut, j'en suis persuadé aujourd'hui. La plupart de nos amis consentiront-ils à y entrer ? J'en doute encore singulièrement et je vous conjure d'agir sans retard sur qui vous pouvez quelque chose. Obtenez qu'ils votent au moins l'ensemble de la loi, que va va repousser l'extrême gauche. Car enfin que veulent-ils ? Que prétendent-ils ? Quant à moi, j'[mot illisible] qu'après tous les coups de foudre qui nous tombent sur la tête, les royalistes puissent encore faire si bonne figure et obtenir de si tolérables conditions. Mais s'ils les refusent, s'ils [sic] restent éternellement isolés ne faisant rien, nuisant à qui veut faire  très certainement, ils se perdront eux-mêmes et très probablement ils achèveront de perdre la France. Pourquoi vous dire ces choses, cher Monsieur, à vous qui les pensez autant que moi et les savez beaucoup mieux ? C'est que depuis quinze jours surtout, je vis et m'épuise à, travers ces pensées là, et que je voudrais les faire parvenir par vous à quiconque est capable de les entendre. Je suis allé samedi soir chez M. Thiers avec  Ch. de Lacombe, Baragnon et Cumont. Il était de bonne humeur et semblait soulagé comme un vieux pêcheur qui vient de se confesser mais en même temps, il restait inquiet. En me brouillant avec la gauche me referez-vous une majorité? voilà le sens de tout ce qu'il nous disait et je vous l'avoue j'en suis moins assuré que je ne voulais le paraître. M. de Rességuier vous a déjà répondu au sujet de l'indication contenue dans la correspondance de M. de M[aistre] avec Mme Swetchine. En l'absence de ma belle-mère3 qui ne revient de Rome que pour la réception du duc d'Aumale4, il n'a pas moyen pour nous de chercher dans les papiers de Paris. De plus, les papiers relatifs aux Moines5 ont tous été remis par nous à M. Foisset et c'est à lui que je me serais adressé pour vous répondre, si hélas le malheur qui vient de nous frapper n'avait pas été  déjà très menaçant quand j'ai reçu votre lettre. Cette mort est pour nous un vrai deuil de famille. Adieu, cher Monsieur, vous savez comment et combien je suis à vous.

C. de Meaux

Notes

1Présidée par le légitimiste Roger de Larcy, la Commission des Trente créé le 28 novembre 1872 était chargée de rédiger une nouvelle consitution.  
2Il s'agit d'une lettre publique adressée par le comte de Chambord au leader des chevau-légers, La Rochette, le 15 octobre 1872 dans laquelle le prince s'élevait avec vigueur contre la rumeur selon laquelle il serait favorable à une république conservatrice présidée par le duc d'Aumale.
3Marie-Anne Henriette dite Anna de Montalembert, née de Mérode (1818-1904), veuve de Charles de Montalembert avec qui elle s'était mariée en 1836.
4Le duc d'Aumale avait été élu à l'Académie au siège de Montalembert le 30 décembre 1871 et sa réception devait avoir lieu le 3 avril 1873.
5Allusion à l'ouvrage volumineux publié en 1860 par son beau-père Charles de Montalembert, Les Moines d'Occident, depuis saint Benoît jusqu'à saint Bernard, 7 vol., 1860.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «3 mars 1873», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, 1873, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES,mis à jour le : 30/04/2013