1884 |
8 mars 1884
Théobald de Soland à Alfred de Falloux
Paris, 8 mars 1884
Cher ami,
Votre lettre de ce matin est arrivée à Marseille, car j'avais chez moi la réunion des sénateurs et des députés convoqués par Maillé pour entendre le récit de sa visite épiscopale.
….encore rebuté
Jamais ambassadeur ne fut moins écouté. Voilà le résultat de la visite, qui tient tout entier dans un vers de Molière (du désir amoureux, je crains) et puisque je parle de cette pièce, j'y trouve encore Hervé-Bazin1 jouant les gros René et rompant brutalement avec La Perraudière la paille que son maître a rompu moins grossièrement avec le comte de Maillé ; seulement où l'analogie cesse, c'est quand il s'agit du raccommodement. Notre comité n'a pas les beaux yeux des amoureux de Molière et nous restons définitivement brouillés.
Maillé2 s'est présenté sans apparat et sans prévenir, rue de Sévres, il a dit qu'ayant été nommé président du comité il venait parler à l'évêque du désir que nous avions tous de nous réunir dans une action commune en faveur de la Monarchie. Au premier mot l'évêque l'a arrêté pour lui dire qu'aucune entente n'était possible entre nous et lui, qu'il y avait deux courants convergents vers le Cte de Paris3, le courant libéral et parlementaire et le courant autoritaire, ces deux principes représentés l'un par le comité, l'autre par L'Anjou4 sont inconciliables. En vérité le jeune Rochebouet5 n'avait pas besoin de se mettre en frais d'impertinence pour nous dire que l'évêque allait désarmer s'il était représenté au comité. L'alliance avec les Bonapartistes et les mécontents de l'ancien comité Maquillé est conclue et le député du Finistère6 se trouve là dans un milieu plus soumis que parmi nous. Il a en effet affaire à deux partis qui n'ont pas d'hommes en Maine-et-Loire, mais qui sont heureux de se venger sur nous de leur impuissance, ils ont trouvé dans l'évêque un chef important, ils l'adulent et comme ils ne peuvent rien sans lui, ils le laissent proclamer la monarchie chrétienne, pourvu qu'il fasse la besogne peu chrétienne de nous combattre et de nous faire échec. Après cette déclaration de principe, l'évêque a déshabillé notre comité et prenant exactement la contre partie de son discours au comte de Paris. Il n'a fait grâce à aucun de nous. Détail curieux, un de ceux qu'il a le plus persiflés est le jeune Gaston de Rochebouet. Quant a vous, vous êtes le plus méchant homme du monde, vous le faites attaquer dans le Journal du Loiret7. Le comité n'a pas le droit de s'intitule comité monarchique puisqu'il n'a pas été nominé par le comte de Paris, son vrai nom est comité Blavier8 qui neuf fois sur dix le présidera. Blavier n'est pas populaire et cela rejaillira sur le comité on y compte bien.
Il n'y aura pas de contre comité officiellement organisé, mais à lui seul l'évêque entend bien faire une contre opposition bonapartiste mi extrême droite, nous n'existons pas pour lui, nous sommes une quantité absolument négligeable, et lui, l’Évêque dont nous défendons les écoles, les prêtres, n'a qu'une pensée, qu'un désir, démontrer notre impuissance et nous combattre au profit de ses pires ennemis.
J'ai tort de faire des réflexions, les faits parlent trop d'eux-mêmes. Comme conséquence, il faut prouver notre force en nous organisant plus fortement, il est absolument nécessaire de commencer l'organisation des comités d'arrondissements, parmi les critiques de l'évêque il en est qu'il faut retenir, la clairvoyance de sa haine doit nous profiter. Il a en effet parlé du mécontentement de certaines notabilités de Cholet, de Saumur, il importe de mettre un terme à cet isolement et puisque nous avons leur place disponible on peut en réserver une pour le président du comité d'arrondissement de Saumur, M. Le Brecq ou tout autre. Quant à Cholet, Maillé en serait le président, et La Perraudière9 de celui de Segré.
L'ancien président de Baugé qui est à Paris et que je vais voir, pourrait s'occuper de son ancienne résidence. Mais prouvons le mandement en marchant, étendons notre action et que l'hostilité maintenant déclarée soit un stimulant contre notre indolence si nous étions tentés de nous y laisser aller.
Le comité se réunira samedi prochain, Maillé y racontera sa visite, ce sera le moment de prendre de sérieuses résolutions.
Le Guay10 est consterné, il revient à son idée d'une grande réunion de tous les maires, conseillers généraux pour nommer un comité de direction à l'heure présente. Ce serait du gâchis en pure perte et un
aveu d'erreur et d'impuissance ; puis quelle situation pour ceux d'entre nous qui seraient écartés par une coalition que l’évêque saurait bien susciter. Pensez à tout cela.
J'espère vous voir au Plessis après la cérémonie. Ernest de Villoutreys11 a invité à dîner Le Guay, De Terves12 et moi, nous reprendrons le train du soir après dîner.
Je vais tacher de rester jusqu'à la réunion de samedi, mais je suis fort ennuyé, j'avais avant le mort de Civrac13 promis de présider une réunion privée à Paris elle est [mot illisible] me tourmente pour repartir ce jour-là d'Angers et aller le soir parler à l'avenue St Mandé. J'ai peur que ce soit trop dur pour mes forces.
Mille tendresses.
Th. de Soland