CECI n'est pas EXECUTE 6 février 1852

Année 1852 |

6 février 1852

Francisque de Corcelle à Alfred de Falloux

6 février 1852

Je commence par vous dire, mon cher ami, que je suis toute ému et attendri en recevant le dernier témoignage de votre indulgente affection. Celle que je ressens pour vous est si vive, si vraie, que je vous prie de la compter pour quelque chose alors même qu'elle ne s'exprime pas. C'est bien moi qui placerait toujours parmi mes plus doux souvenirs celui de votre noble direction à travers ces temps difficiles et dans ces entreprises où dieu a certainement pris pour lui ce que vous avez si bien fait pour son Eglise et pour la Société. Permettez-moi de croire que de tels liens, ne peuvent s'affaiblir ni pour les séparations, ni pour les troubles continuels du monde.Mon tour de solitude va venir, car j'arrange mes affaires pour vivre, dans peu de semaines, au milieu des prairies normandes !

Vous me demandez mon impression sur l'effet produit par votre lettre1 adressée à vos si nombreux amis dans le Maine-et-Loire et dans toute la France. J'ignore ce que mon neveu vous a mandé à ce sujet. Il est pénétré de vos bontés pour lui et je ne doute pas qu'il ne vous ait fidèlement envoyé sa récolte des salons.Il faut retrancher des objections de certains personnages le reproche Burgrave, et d'ailleurs non avoué de la non consultation préalable. Il faut reconnaître qu'aujourd'hui toute parole publique est nécessairement pleine d'empêchements et de sous-entendus. Ce n'est pas non plus votre faute si votre circulaire a précédé de si près le décret du 22 janv[ier]2 qui a notablement changé le diapason général. Avant tout, je tiens à vous bien assurer qu'aucune objection ne m'a paru emportée, ni <mot illisible>, même chez les plus mal disposés, du côté orléniste notamment. Cela se réduisait à quelques regrets, sur la forme, sur la décision et les onissions de certaines parties. Non impression à moi a d'abord été purement d'approbation est de naturelle sympathie. Avec Valmy3 nous avions échanger des paroles d'assentiment et étonnement sur les inquiétudes exprimées par les hommes qui attachent un grand prix à vos jugements. Puis j'ai fini par m'acquitter de ces inquiétudes. En fin de compte, il sera sage d'avoir égard, dans l'avenir, aux craintes assez vagues elles-mêmes de vos amis sans trop vous en tourmenter. L'effet est produit ; il ne peut être oublié et ne comporte pas d'Erratum. Tout ce qui vient de vous a beaucoup d'importance, comme un obstacle ou facilité ultérieure pour notre conduite à tous. La suite de nos affaires vous ramènera des occasions heureuses de vous prononcer sur les complications de la situation présente de façon à ne plus laisser la moindre obscurité dans vos conseils. Ce défaut d'indécision, d'obscurité est dans toutes nos âmes ; il est inhérent à ce temps qu'il faut traverser. Montal[embert] ni Guizot n'y ont point échappé dans leur discours académiques. La gêne imposée par le pouvoir régnant, se joint à toutes les contradictions et divisions des partis, aux redoutables incertitudes de l'avenir, pour ôter au plus fermes orateurs leurs netteté. Ce qu'ils ont peut-être de mieux à faire est de se recueillir "Ita super tectum, sicut passem et cogita..."La plus grande difficulté me paraît être de se tenir entre deux écueils dangereux : 1° un mécontentement aveugle qui pousserait à la destruction et aux divers dénouements que nous voulons éviter ; 2° la complicité avec ce qui se fait ou tout simplement la complaisance qui nous déconsidérerait. C'est un milieu à conserver. Vous avez mille fois raison de détourner vos amis de tous les défauts attachés à l'isolement, de tous les périls qui seraient la conséquence d'une action subversive aussi longtemps que le désaccord du parti monarchique existera ; mais bien des gens, parmi les vôtres, songent plus à se rallier qu'à s'isoler et pêchent par la faiblesse plutôt que par les témérité de leur opposition. Prenez garde qu'en apparaissant trop tolérant pour de certains actes, (je ne dis pas satisfaits) ils n'accroissent le désaccord que nous déplorons, et dans le mécontentement général n'abandonnent les honneurs de la dépendance, de la justice, en un mot, le rôle libéral à nos rivaux. J'ai bien des doutes sur l'utilité d'un cheval de Troie surtout quand luis de 6 mai par, mais vous conseillez une communauté d'efforts honorables et non une machine apparente de guerre. Autre inconvénient à éviter : l'apologie du nombre. Vous ne l'avez point faite. Le pas toujours, prévient le reproche, et en louant le résultat de cet instinct populaire, vous le félicitez au fonds d'une abdication en faveur du principe d'autorité et de l'unité par l'autorité ; mais quelle autorité ! Quelle unité ! Quel instinct ! Votre compliments aux masses n'eut été tout à fait prudent qu'à la condition de réserver explicitement l'autorité permanente de la tradition qui est l'assentiment ou si l'on veut le suffrage universel des siècles opposé à celui des contemporains. Le nombre est encore de notre côté, car nous avons raison de compter, dans les questions de souveraineté, la voix des morts et la voix des générations futures ! De plus, les 7 500 000 suffrages ne représentent pas une action vraiment libre non plus que toute consultation quelconque du suffrage universel. De tels cas sont toujours si dangereux que pour ne pas mourir on s'en tire en votant comme tout le monde, avec sa frayeur, sans discernement ni volonté, à un agonisant, si bons médecin qu'il soit, il est profondément dérisoire de demander l'indication de remèdes qui pourraient peut-être le sauver. Sur toute cette partie, vous n'avez point proféré d'hérésie, mais pour encourager le souverain tremblotant, vous êtes tombé dans le défaut d'une omission grave. L'observation sur les deux causes de notre défaite : les dissidents orléanistes et les énergumènes montagnards est vrai. J'ai entendu Vitet4 regretter seulement en cet endroit la forme ou plutôt le moment de la récrimination. Songez qu'il y a nécessité de s'entendre avec les dissidents, sur notre terrain, bien entendu. Dans l'exil on peut-être plus ombrageux que chez soi et dans les temps ordinaires. Ceci ne m'a pas beaucoup frappé. Je ne vous en parle que pour être exact dans les notes que j'ai recueillies et pour l'avenir.

Il nous faut éviter de rechercher en quelque sorte la victoire dans l'explication de notre défaite. Cette attitude n'a pas été la vôtre, mon cher compagnon du Quai d'Orsay5 ; vous sentez mieux que personne combien il était essentiel et vraiment chrétien de savoir souffrir, être battu dans le bon droit. Et cependant, vous n'avez pas l'air d'être assez battu. Voilà tout mon sermon.

Je passe au fond de la situation. Le g[ouvernemen]t nouveau me paraît très fort pour ce qui ne blesse pas le sentiment le plus chatouilleux dans le pays, l'amour-propre des classes, et réunit la puissance du despotisme à celle de la démocratie. L'attrait réciproque du despotisme et de la démocratie est fort à considérer. Il est très possible que cette forme populaire organisée, dirigée, contenue par un maître soit pour longtemps le seul possible. Le clergé n'y répugne pas et n'en verra pas les inconvénients tant qu'on aura besoin de son influence dans les élections ; les classes aisées tout heureuses d'avoir échappé à leur ruine et les classes ignorantes sont flattées de leur apparente importance arrangée de telle façon qu'on les préserve de leur propre bus brutalité. Si le maître se modère, il durera. C'est pourquoi, il ne faut pas le considérer comme nécessairement transitoire et précaire. Quant Gulliver revint de Liliput, il se faisait scrupule d'éternuer devant ses enfants qui étaient pourtant de forts solides garçons, de peur de les renverser. Gardons-nous de cette illusion, si toutefois il nous reste encore le droit d'éternuer. Ce pouvoir est sujet sans doute, à des accidents subits. Il peut se perdre assez vite s'il prétend supprimer la bourgeoisie, la misère et l'Europe. Supposez au contraire un juste milieu dans l'application de ce système et vous ne vous alarmerez pas de l'opposition des salons.  Avant qu'elle n'ait gagné la France, des mois s'écouleront. Le silence ralentit les propagandes. Je ne conçois de brusque dénouement que par la guerre ou le désespoir de la bourgeoisie. Celle-ci occupe une trop vaste place dans la société pour être délimitée comme l'imaginent les philosophes Persigniens6. Elle agit notamment beaucoup sur l'armée et même sur les ouvriers proprement dit qui tout en suivant quelquefois l'impulsion bourgeoise détestent les bourgeois. Le talion d'une sédition militaire est la plus simple des conjectures à faire, si le président se livre a une idée fixe et veut précipiter son jeu. Proportionner son opposition, sa résistance au progrès du parti monarchique vers la fusion, à ses bonnes chances, est impossible. Le sentiment de la justice doit réagir en raison de chaque offense et ne peut-être proportionnée qu'au devoir d'être ferme dans l'honnêteté et la justice.

Pour me résumer, la tactique ne nous ménera à rien de bon. Si nous devons réussir ce sera en restant ce que nous avons toujours été, ni plus ni moins libéraux, ni plus ni moins royalistes. L'expérience de la république est épuisée. Celle de la liberté réglée est fort éclarcie pour nos malheurs. Au dessous des légitimistes parlementaires si honorables et constants dans leurs principes, je vois une multitude de petits légitimistes craintifs, jalons des parlementaires, bien plus faits pour les boutiques que pour les salons, qui prétendent que la restauration est dangereuse, que si jamais elle se fait elle doit profiter et hériter du despotisme, comme si le despote blanc pouvait faire ce que peut le despote bleu, comme si la  mobilité des impressions actuelles en faveur d'un pouvoir fort ne devait pas faire prévoir des prochaines impessions en sens contraire, si le président <mot illisible>, <mot illisible>  s'il se modere, je maintiens qu'il est robuste, meilleur et plus durable despote que qui que ce soit. Ce n'est pas la peine d'y compromettre la maison de Bourbon. Je vous préviens que tous les anciens constitutionnels du tiers parti sont fusionnistes en spéculation et et par leurs voeux, car personne ne serait assez fou pour vouloir l'être autrement. La plupart des anciens républicains au contraire s'arrêtent dans leurs réactions à l'orléanisme exclusif. Les noms propres vous étonneraient. Il m'a paru que les conversions fusionnistes inquiétaient quelques-uns de ces Messieurs habitués à une moindre clientèle et qu'ils craignaient d'être trop fort. C'est pourtant une effronterie qu'il était impossible d'empêcher que celle dont on appréhende les conséquences. Notez que les nouveaux venus n'exigent rien. On m'assure qu'il y a un progrès dans l'endroit principal. Adieu, je n'ai plus que la place suffisante pour vous serrer la main avec la plus tendre amitié.

C.

Notes

1Dans cette lettre à L'Union de l'Ouest du 23 janvier 1852, Falloux annonçait son intention de se retirer de la vie politique tout en faisant part de son désaccord avec la consigne d'abstention du comte de Chambord. Falloux y affirmait son intention de ne plus marcher dans l'ombre de Berryer et de dire son fait au comte de Chambord et aux méfaits de sa consigne d'abstention qui aurait pour conséquence, en coupant les légitimistes du pays réel, de leur faire perdre toute influence.
2Le décret du 22 janvier 1852 portait confiscation des biens de la famille d'Orléans au bénéfice de l'Etat.
3Kellermann, François Christophe Édouard de, duc de Valmy (1802-1868),  diplomate et homme politique. Petit-fils du célèbre général de la République, Kellermann, créé duc et maréchal par Napoléon. Ses convictions légitimistes l'amenèrent à renoncer à la carrière diplomatique en 1833. Élu à Toulouse en 1842 et en 1846, il vota constamment avec la droite. Depuis la révolution de février 1848, il était  rentré dans la vie privée.
4Député orléaniste à l'Assemblée législative dont il fut un des vice-présidents, Ludovic Vitet était retourné à la vie privée après le coup d'état.
5F. de Corcelle et A. de Falloux ont siégé ensemble à l'Assemblée nationale, située sur le Quai d'Orsay.
6Proches de Persigny.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «6 février 1852», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, Année 1852, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES,mis à jour le : 27/11/2011