Année 1859 |
4 mars 1859
Pierre-Antoine Berryer à Alfred de Falloux
4 mars 18591
Mon noble et très cher ami,
Je vous réponds au Bourg d'Iré, puisque les lettres qui vous y sont adressées vous suivent rapidement dans vos pérégrinations ; cependant celle qui me vient aujourd'hui par le timbre de Château-Gontier2 m'a donné à croire que vous avez fait quelques séjours à Rochecotte, et en vous lisant je n'ai pu me défendre de penser que le déplaisir de vous éloigner de la grande, spirituelle et attachante châtelaine3 s'ajustait avec les objections que vous faites à la prière que je vous ai adressée. Pour ne répondre qu'aux excuses ou raisons que vous me donnez ; je dois vous dire que vous vous méprenez sur l'objet de mon appel, il ne s'agit en aucune façon de vous immiscer dans des conseils sans y être invité de la façon dont vous avez droit de l'être.
C'est en mon nom, c'est pour moi, je vous prie de venir. Dans l'état présent des affaires et dans la disposition générale des esprits, je suis provoqué à causer ici avec des hommes sortis de rangs bien divers et qui y ont été considérables. Il ne me suffit pas en exprimant ma pensée entière sur toute question, de dire quelle est conforme à vos propres idées, j'ai besoin de votre aide pour servir les opinions qui nous sont communes, j'ai besoin de votre présence pour qu'on soit convaincu, pour qu'on voye que nous ne sommes pas séparés et que nous marchons côte à côte. Je l'ai dit en toute rencontre, je veux que ce soit manifeste au près et au loin. Que me voulez-vous persuader en rappelant des situations et des paroles qui quoique récentes sont d'un passé que la proximité d'événements trop faciles à prévoir doit nécessairement faire oublier ou du moins modifier considérablement. Que signifie aujourd'hui pour régler votre conduite le silence qui, dites-vous, aurait été imposé à l'Union. Ne savez-vous pas que le même silence dont M. de Noailles aurait pu se plaindre, dans un cas analogue au vôtre, a été très énergiquement blâmé ? Quoi que l'on vous ait pu raconter je suis certain que votre lettre sur l'évêque de Rennes4 n'a point blessé par un mot pas plus que par son ensemble. Le dernier article du Correspondant5 n'a pas du moins satisfaire ; je crois que F. de la Ferronais6 n'était point en Allemagne quand la lettre y est arrivée. Je suis d'ailleurs certain que depuis son retour en France il n'a fait à St Mars7 qu'une course de quelques heures seulement pour ses affaires privées. Ce n'est pas des vues particulières de ce journal ou des personnes que vous me désignez qu'il faut se préoccuper à cette heure. Je vous appelle comme M. Guizot a dû de son côté vous exprimer le désir de vous voir. Je vous appelle parce qu'il n'est pas vrai que je puisse suppléer ici à votre présence. Grâce à Dieu vos forces physiques sont assez bien rétablies pour que vous puissiez nous seconder par vos forces morales qui sont entières et inaltérables. Rappelez-vous le livre que certaines considérations et de prudents égards pour les personnes, vous on fait laisser le manuscrit, le moment est venu de dire ce qu'il contient par ce qui peut être écouté et approuvé de ces mêmes personnes. Je ne tiens pas pour bonnes, malgré l'amitié qui me rend si parfaitement soucieux sur tout ce qui vous touche, les objections que votre lettre m'oppose et je n'ai rien dans la présente occurrence de l'indulgente générosité dont vous me complimentez. Au revoir et au prochain revoir, mon cher, illustre et fidèle ami ; je vous embrasse d'esprit et de cœur.
Berryer
Je ne vous répète pas que notre jeune et ardent ami Albert8 ne pouvait pas être le plus persuasif et le plus insinuant interprète de vos pensées, bien qu'il soit le plus sincère, plus dévoués, le plus indépendant.