CECI n'est pas EXECUTE 22 juin 1840

Année 1840 |

22 juin 1840

Charles de Montalembert à Alfred de Falloux

Paris, ce 22 juin 1840

Mon cher Vicomte,

Malgré le torrent de sottes occupations qui me permettent à peine de lire tois volumes pedant mon hiver, j'ai voulu absolument lire le beau livre1 que vous avez eu la bonté de m'envoyer il y a quelques temps, et le lire avant de me remettre en route pour mon long et lointain voyage. Je l'ai commencé sans oser espérer que je pourrais le finir ; mais, une fois engagé, je ne me suis arrêté qu'à la fin. Il y a bien longtemps qu'un volume quelconque a triomphé à ce point des importunes distractions de ma vie de Paris. Je croyais, sinon tout savoir du moins en savoir beaucoup sur Louis XVI, et voilà que vous m'avez révélé une foule de détails sublimes et touchants, des pièces du plus haut intérêt et des points de vue aussi justes que nouveaux. Mais je n'ai pas seulement été instruit et charmé par votre livre ; j'en ai été surtout édifié. Quand je songe à la vivacité de vos convictions politiques, je ne puis assez admirer la merveilleuse modération qui a présidé à toutes vos paroles, et qui doit pénétrer l'âme de vos lecteurs, quel que soit leur bord, d'une tendre sympathie pour vous. Ah ! que vous avez été inspiré d'écrire ainsi, et que vous vous êtes montré digne de célébrer cette victime sainte et vraiment royale.Vous m'avez fait verser de bien douces larmes dont je vous conserverai une perpétuelle reconnaissance. Au milieu de cette exécrable histoire d'une exécrable époque, vous m'avez fait trouer le charme et la salutaire influence d'une de ces légendes que j'étudiais autrefois. Je ne vous dis rien du mérite littéraire de votre travail il est complet à mes yeux ; mais c'est bien peu de chose auprès de l'âme que vous y avez mise. Je réserve à ma femme2 le bonheur de lire votre récit c'est le plus grand hommage que je puisse rendre à une oeuvre humaine, car je ne connais pas d'âme qui sache mieux apprécier la vraie beauté. Recevez mes plus vifs remerciements du précieux cadeau que vous m'avez fait en même temps que l'hommage et l'admiration d'un homme qui tout en restant votre adversaire politique n'en désire pas moins être compté par vous au nombre de vos véritables amis.

Le comte de Montalembert

Je rouvre ma lettre pour mêler une critique à mes félicitations. Je trouve que vous avez été injustement sévère pour M. de Lafayette. Si vous aviez lu les six gros volumes de ses mémoires et correspondances, publiés dernièrement, je suis sûr que vous auriez mieux apprécié tout ce qu'il y avait en lui de générosité, de désintéressement et, d'indépendance, même envers son idole démocratique. Son retour du sein de son armée à l'Assemblée législative est un acte admirable. Si l'ancienne monarchie avait eu de son côté un homme de cette trempe, peut-être aurait-elle échappé à l'affreuse catastrophe que vous avez racontée avec une si touchante modération.

Notes

1A. de Falloux venait de publier une biographie de Louis XVI (Paris, Delloye, 1840) qui devait connaître plusieurs rééditions.
2Marie-Anne Henriette Ghislaine dite Anna de Montalembert( 1818-1904), née de Mérode, son épouse depuis 1836.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «22 juin 1840», correspondance-falloux [En ligne], Années 1837-1848, Monarchie de Juillet, Année 1840, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES,mis à jour le : 01/12/2011